M.Christine – 2011
1. Quelques généralités
Une vision de l’être humain
On peut schématiser la personnalité en identifiant 3 dimensions : le corps physique, l’émotionnel et le mental. Ces 3 aspects se superposent, s’interpénètrent, sont étroitement liés, totalement interdépendants. Cependant, selon les moments, selon les circonstances, notre conscience est davantage focalisée sur l’un ou l’autre de ces aspects. Cela explique nos nombreuses contradictions : une partie de nous comprend les choses d’une certaine façon, une autre partie de nous est sous l’emprise d’un désir ou d’une peur… (ex : Je souhaite sincèrement réussir mon examen cette année, mais quand les copains me proposent une soirée, j’oublie totalement que j’avais prévu de réviser…)
Au stade actuel de l’évolution humaine, la plupart des comportements humains sont sous l’influence directe des émotions : nos paroles, nos actions, nos attitudes,…
Les émotions mettent « plein de couleurs » dans notre vie. A travers elles nous nous sentons vivants ; s’il n’y avait pas le rire, la tristesse, l’étonnement, etc. nous serions comme des robots. Mais quand les émotions nous envahissent, elles nous font souffrir. Elles sont responsables de nombreuses difficultés, psychologiques, relationnelles, et même physiologiques.
Emotions ? Sentiments ? Précisions
Dans cet exposé, sous l’expression « états émotionnels », on parlera en fait :
- des émotions : états relativement ponctuels (de quelques minutes à quelques jours),
- des sentiments : états plus stables, qui s’inscrivent dans une durée beaucoup plus longue (la culpabilité, le sentiment amoureux, etc.)
- des tendances, des dispositions à éprouver tel ou tel type d’émotion ; tendances qui peuvent être innées (promptitude à la colère), ou qui peuvent être apparues suite à un traumatisme ou à des expériences répétées (sentiment d’infériorité,…).
Le mot « émotion » vient du latin « e movere », qui veut dire « mise en mouvement » ; ce sont les émotions qui nous poussent à agir, dans une direction ou une autre.
Une émotion est un message, le signal d’un besoin ; elle nous pousse à faire quelque chose (fuir, montrer qu’on a besoin de sentir respecté, ou d’être écouté, ou réconforté, ou besoin qu’on nous laisse tranquille, etc.). C’est une réaction psychologique et physique à un événement, à une situation ; elle exprime notre ressenti face à cette situation.
Les émotions/sentiments racines, et leurs déclinaisons (classement relatif et non-exhaustif !) : Le désir (de différentes natures : matériel, affectif, pouvoir, etc.) : envie, avidité, passion, impatience,… / déception, amertume, dégoût,… la colère : agacement, contrariété, mécontentement, irritation, rage, amertume, ressentiment, rancune, frustration, sentiment de trahison, sentiment d’injustice,… l’orgueil : fierté la jalousie : envie, ambition, peur de ne plus être aimé… la peur : anxiété, angoisse, trac, effroi, doute, sentiment d’abandon, sentiment d’insécurité,… la tristesse : mélancolie, nostalgie, regret, désespoir, découragement, ennui,… la honte : humiliation, sentiment de rejet, culpabilité, dégoût de soi-même,… la surprise : étonnement la joie : satisfaction, soulagement, plaisir, amusement, excitation, enthousiasme, euphorie,… l’amour : affection, amitié, admiration, respect, empathie, compassion, dévotion… la sérénité : confiance, plénitude, sentiment de bien-être, de sécurité,… la gratitude : reconnaissance, émerveillement,… etc. En réalité, la plupart du temps, c’est un mélange de plusieurs émotions, qui nous traverse. |
Comment se manifestent les émotions ?
Les émotions ne dépendent pas de notre volonté ; elles s’imposent à nous.
Pratiquement toutes nos pensées sont teintées d’émotions, mais nos émotions ne s’expriment pas seulement au travers des pensées : on peut en observer de multiples manifestations au niveau corporel (accélération de la respiration ou des battements du cœur, tremblements, sueurs, rougissement ou pâleur du visage, envie de crier – de joie, de peur ou de colère,… – , nœud à l’estomac,…), ou encore diverses sensations psychiques (sentiment de solitude, mal-être diffus,…).
Il y a les états émotionnels dont on a conscience : certains qu’on arrive à maîtriser à peu près, d’autres qui nous emportent encore régulièrement et qu’on ne reconnait qu’après un certain temps.
Mais il y a également ceux qu’on ignore, que l’on n’ose même pas regarder en face, parce qu’ils nous font peur (des mémoires douloureuses…), d’autres encore, parce qu’on en a honte (la jalousie, l’orgueil,…), ou ceux dont on ne peut pas avoir conscience parce qu’on a toujours vécu avec, qu’ils nous imprègnent, qu’ils colorent notre vision du monde sans qu’on le sache (on pense que c’est la Réalité). Ces états émotionnels, même si nous n’en sommes pas conscients, ont aussi des conséquences sur nous-mêmes, nous conduisant souvent à somatiser, pouvant entraîner de véritables pathologies (eczéma, ulcère, dépression,…). Et bien sûr, ces états émotionnels inconscients, comme les autres, ont des répercussions sur notre entourage…
D’une manière générale, de nombreuses émotions consomment, consument notre énergie inutilement. Elles altèrent, de façon plus ou moins intense et plus ou moins durable, notre capacité de raisonnement…
2. Pourquoi vouloir « travailler » sur nos émotions ?
Au-delà des conséquences physiologiques citées plus haut, il est essentiel de comprendre l’importance de « travailler » sur nos émotions. Il ne s’agit absolument pas d’essayer de les supprimer ni de les maîtriser, mais de prendre conscience de leur impact sur notre vie, de les reconnaître lorsqu’elles là, de les « mettre à distance », et de ne pas les saisir, ne pas les entretenir.
Les émotions voilent notre perception de la réalité
On peut comparer les émotions à des filtres qui « colorent » notre perception de la vie ; des filtres qui transforment, déforment les évènements, en fonction de notre culture, de notre vécu – proche ou lointain. Nous nous faisons une représentation subjective de la réalité, qui va nous « pousser » à répondre de façon plus ou moins adaptée, ou qui va quelquefois nous enfermer dans tel ou tel type de comportement. On dit que « la peur est mauvaise conseillère », mais bien souvent, les autres émotions le sont aussi !
Si l’on aspire à une plus grande liberté de conscience, il est nécessaire de ne plus être dupe de nos émotions, ne plus être sous leur emprise.
Concernant les émotions que l’on trouve agréables, on peut en distinguer deux sortes :
- Celles qui sont en relation avec un amour altruiste, désintéressé, non seulement ne posent pas de problème, mais doivent être développées !
- Les autres émotions « agréables » sont souvent éphémères. Elles expriment qu’un désir est satisfait. S’il s’agit d’un désir égocentré, nous sommes dans un certain mirage qui, tôt ou tard, prendra fin et fera place à une souffrance (ex : C’est formidable, je suis au sommet de ma réussite professionnelle ! Mais un jour je serai trop âgé, quelqu’un d’autre prendra ma place…). Quelquefois, au moment-même où l’on est joyeux ou heureux, on est déjà inquiet à l’idée de perdre ce bonheur (ex : J’aime cet homme et il m’aime, mais j’imagine qu’un jour il pourra me quitter, et j’en suis malade…).
Nos états émotionnels ont une forte influence sur les autres
L’énergie émotionnelle est très communicative. Si nous rayonnons la joie ou la confiance, notre entourage en bénéficiera, et c’est tant mieux ! Mais s’il s’agit d’inquiétude, de stress, de découragement, etc., nos proches en subiront l’impact, bien souvent de façon inconsciente, et c’est toute une famille ou tout un groupe de personnes qui seront immergés dans une ambiance néfaste, même si certains y sont moins sensibles que d’autres. Les enfants sont particulièrement perméables aux émotions qu’ils perçoivent dans leur environnement.
C’est pourquoi, si l’on veut entretenir des relations saines avec les autres, il est souhaitable d’être conscient de notre état intérieur. Lorsqu’on décèle un mal-être, une colère, ou toute émotion susceptible de nous submerger, peut-être pourrons-nous essayer de nous isoler pendant quelques instants, le temps de laisser la vague émotionnelle se déployer puis commencer à décliner peu à peu. Les émotions ne sont que des mouvements de notre esprit, qui vont, qui viennent, apparaissent et disparaissent ; si nous ne les vitalisons pas par nos pensées, si nous les observons avec sérénité, comme le ferait un témoin extérieur bienveillant, elles se dissiperont plus rapidement.
Et s’il ne nous est pas possible de prendre ce moment d’intériorisation, nous pouvons faire part de notre état intérieur à notre interlocuteur, lui révéler notre ressenti. Une émotion identifiée et verbalisée diminuera en intensité ; cela évitera qu’elle déborde de façon inappropriée, et génère une situation conflictuelle…
La cause des émotions se trouve en nous-mêmes
On croit souvent que ce sont les autres, ou les évènements extérieurs, qui sont responsables de nos plaisirs ou de nos tourments. En fait, c’est à l’intérieur de nous-même qu’il faut en chercher la cause. Nos attentes, nos expériences passées, la façon dont nous appréhendons les situations, et encore beaucoup d’autres facteurs déterminent nos ressentis émotionnels. Il suffit par exemple de constater comment cinq personnes pourront vivre le même événement et le percevoir de manières très différentes, voire opposées quelquefois !
Si on remonte à leur source, tous les états émotionnels sont l’expression soit d’un désir, soit d’une peur :
- Désir de confort matériel, désir d’être aimé, reconnu, désir que « l’autre » se comporte comme on le souhaite, que les évènements se déroulent selon nos attentes, soif de pouvoir ou de « liberté » (quelle qu’en soit notre conception), désir d’appartenir à un groupe (famille, catégorie sociale, groupe d’affinité, nation), etc. Entre besoin et désir, la limite est floue et subjective. Le besoin se réfère à quelque chose d’indispensable à notre équilibre physiologique et psychique ; le désir, quant à lui, renvoie à quelque chose qui n’est pas vital, mais qui est censé nous apporter davantage de bien-être ou d’épanouissement. Nous reviendrons plus loin sur cette notion.
Quant à la face cachée du désir, c’est la peur, le refus de ce qui pourrait survenir :
- Peur de souffrir ou de perdre ce à quoi l’on est attaché, qu’il s’agisse de nos proches, de notre santé physique ou psychologique, de nos possessions matérielles, nos habitudes, nos opinions, notre renommée,…
L’introspection mettra en évidence le fait que c’est là qu’il faut chercher l’origine de nos difficultés, dans ces impulsions de désirs et de peurs enracinées dans notre psychisme, et non pas à l’extérieur de nous.
Transformer la nature des désirs : une libération
Le désir, tel qu’il a été défini plus haut, n’est pas négatif en soi. Il est le moteur de l’existence ; il nous permet d’avancer, d’apprendre, de nous dépasser. Par contre, ce qui bien souvent est problématique, c’est que nous n’arrivons pas à identifier le besoin profond qui se cache derrière un désir. La plupart du temps, nous nous trompons de cible et sommes alors emportés dans le tourbillon du « toujours plus ». Toujours plus d’argent, toujours plus de confort, toujours plus de loisirs, etc. A peine un désir est-il assouvi que de nouveaux désirs apparaissent… Le désir semble insatiable.
Frédéric Lenoir, dans son livre sur Spinoza*, nous rappelle que l’être humain est animé par le désir, et que tout désir est la poursuite de la joie. « La sagesse, dit-il, […] ne consiste pas à diminuer la force du désir, mais à l’orienter. »
Plus on avance sur le chemin de l’évolution, plus les désirs égocentrés font place à l’envie de progresser, de grandir intérieurement : comprendre, expérimenter, développer notre créativité, manifester des valeurs universelles telles que justice, partage, fraternité, conscience de l’interdépendance et de notre appartenance à quelque chose de plus vaste : l’humanité, l’univers, la Vie Une. Ces « désirs »-là, ou plutôt ces aspirations, loin de tout égocentrisme, ont des conséquences positives, constructives, pour nous-mêmes et pour notre entourage.
L’élargissement progressif de son champ de conscience permettra à l’être humain de développer des qualités telles que l’altruisme, l’empathie, la compassion, l’amour universel… qui ne sont pas des états émotionnels, mais qui sont le fruit d’une compréhension éclairée de la Vie Une, la vie dans son unité.
* « Le miracle Spinoza » de Frédéric Lenoir
3. Comment prendre de la distance par rapport à nos émotions ?
S’accorder des moments pour méditer
Assis sur un coussin, ou en marchant seul, dans la nature, tourner notre regard vers l’intérieur, rester dans le silence, afin de laisser émerger nos émotions inconscientes.
Des pratiques plus spécifiques peuvent aussi favoriser la mise à distance de nos émotions :
- Nous relier à un niveau de conscience qui n’est pas (ou qui est moins) atteint par les émotions ; expérience d’un état plus apaisé, que l’on pourra retrouver plus facilement dans la vie quotidienne.
- Découvrir et entraîner notre capacité à déplacer notre attention dans différentes parties du corps ; ainsi nous aurons plus de facilité à changer la focalisation de la conscience lorsque ce sera nécessaire.
- S’entraîner à regarder en face une émotion qui nous a affecté :
- Retrouver dans quel contexte elle est apparue : dans quel état intérieur étions-nous juste avant ? en présence de quelle(s) personne(s) ? quelles circonstances extérieures ? comment l’émotion s’est-elle manifestée (quelles sortes de pensées nous ont traversés ? quelles sensations corporelles ?) ?
- Essayer (si possible) de nommer l’émotion ou les émotions qui étaient présentes : il s’agit, la plupart du temps, d’un mélange de plusieurs émotions. Essayer de remonter à leur source : quelles sont nos attentes, nos peurs ?
- Accepter, accueillir avec une profonde bienveillance les émotions « négatives », celles dont on n’est pas très fier (la colère, la jalousie,…) ; ne pas les alourdir par de la culpabilité, du refus. En avoir pris conscience est déjà un pas important.Donc, accueillir l’émotion, jusqu’à ce qu’elle perde de son intensité, et même peut-être, de sa réalité…
- Etre également attentif aux pensées qui nous traversent, car bien souvent celles-ci entretiennent ou raniment des émotions.
Au quotidien : essayer d’être présent, et développer certaines attitudes
- Comme pendant la méditation, essayer, le plus souvent possible, dans la journée, d’être présent, attentif aux pensées, aux états émotionnels qui nous traversent (essayer de les déceler à leur racine, au moment où ils font leur apparition, notamment pour les plus récurrents).
- Si une émotion difficile est déjà « installée » et qu’en toute sincérité, on souhaite l’apaiser : travailler sur la respiration, la détente du corps physique, le rappel de ce que nous avions compris quand nous y avions réfléchi à distance, ou la concentration sur une idée qui nous inspire (un mot, une personne, un paysage qu’on apprécie…).
- Comprendre que, quels que soient les évènements extérieurs, nous avons la possibilité d’alimenter nos émotions, ou au contraire de chercher à les apaiser, afin d’être plus libre, plus heureux. Observer combien les émotions sont passagères, inconsistantes. De la même manière que la pluie succède au soleil, et le soleil à la pluie, les états émotionnels sont transitoires et se transforment en permanence. Par cette compréhension éclairée, il est possible de les atténuer, voire de les dissoudre.
- D’une façon générale, essayer de développer, sur le long terme, certaines attitudes qui faciliteront la distanciation face aux mouvements émotionnels (voir l’article Feuille de route).
Certaines émotions liées à des peurs profondes seront probablement là tout au long de notre vie, mais peu à peu elles deviendront moins fréquentes, moins vives, moins douloureuses, et leur impact sera de plus courte durée.
Apprenons à ne pas saisir, à ne pas nous identifier à nos états émotionnels… Nous sommes beaucoup plus vastes que cela ! Tant qu’on laisse les émotions circuler, sans les alimenter par la pensée, elles ne peuvent pas nous faire de mal, elles ne peuvent pas nous blesser, tout juste nous troubler. Laissons-les circuler…
Et n’attendons pas d’être confronté à une épreuve trop douloureuse, pour entreprendre ce travail. Utilisons au mieux chaque instant qui nous est donné. Nous aurons la joie de percevoir la vie dans une dimension plus subtile et plus riche…