Au-delà de la dualité

M.Christine – 2017

Nous vivons dans un monde de contrastes et d’oppositions.

Si l’on observe notre fonctionnement émotionnel et mental, on s’aperçoit que, spontanément, nous interprétons le monde qui nous entoure de manière dualiste : agréable/désagréable, rassurant/hostile, beau/laid, etc.

La nature, elle-même, se manifeste sous cette apparente dualité : le jour/la nuit, le ciel/la terre, l’homme/la femme, etc.

C’est pourquoi, l’être humain, de son côté, a construit ses concepts et son langage selon ce modèle bi-polaire : le corps/l’esprit, en haut/en bas, gentil/méchant, et ainsi de suite. Il faut reconnaître que c’était le moyen le plus simple pour décrire le monde qui l’entourait.

Cependant la réalité est beaucoup plus complexe.  

En Orient par exemple, la description des phénomènes s’est faite de façon beaucoup plus nuancée. La pensée taoïste l’a exprimée de façon particulièrement subtile.

Selon cette vision, à l’origine de toutes choses se trouve le Qi, le souffle originel, le principe fondamental de l’univers. Ce souffle unique se décline en 2 principes, apparemment opposés, et complémentaires : yin et yang.

Le yang est l’ensemble des énergies du ciel, subtiles, légères, énergies invisibles ou presque invisibles, qui animent la matière ;

Le yin représente l’ensemble des énergies de la terre, plus denses, plus lourdes, manifestées à travers ce que l’on appelle la matière, les formes.

Au niveau étymologique , le caractère Yang signifie « Lumière ». Mais le Yang peut représenter des concepts aussi divers que : l’extériorité, la créativité, la fermeté, la positivité, la masculinité, le soleil, le jour, etc. On lui attribue les qualités de chaleur, d’activité.

Le caractère Yin signifie « Ombre », mais il peut aussi exprimer l’intériorité, la réceptivité, la gentillesse, la négativité, la nuit, la lune, la féminité, la passivité, les ténèbres, le froid, l’inertie, etc.

Bien qu’il s’agisse de deux forces distinctes, on ne peut pas les séparer. Il faut plutôt considérer que l’une est le complément de l’autre. Si l’une n’existait pas, l’autre n’existerait pas non plus : toute chose, toute manifestation est constituée d’une face avant et d’un envers, sinon d’un côté apparent et d’un aspect « intérieur ».

Observons le symbole du Yin-Yang : comme dans de nombreuses traditions, le cercle représente le Tout, l’unité du monde.

Ce symbole exprime 2 aspects essentiels de la réalité, largement occultés en Occident :

1.     Chaque phénomène est en mouvement, en transformation continue. C’est ce qu’exprime la ligne ondulée qui sépare la zone noire et la zone blanche. Les deux phases sont complémentaires, indissociables, et elles s’interpénètrent.

Qui peut dire à quel moment précis s’est terminée la nuit pour faire place au jour qui se lève ? Les deux qualités s’engendrent l’une l’autre. Le jour contient le germe de la nuit, et réciproquement.

 De la même manière, alors que le froid de l’hiver nous enveloppe encore, dès janvier apparaissent les premiers bourgeons sur les branches, insignifiants, fragiles, mais premiers signes du printemps qui s’annonce… Transformation dans la continuité…

Précisons au passage, qu’il ne s’agit pourtant pas d’un éternel retour. Les phénomènes reviennent de façon cyclique, mais jamais de façon totalement identique. Chaque printemps voit les bourgeons revenir sur les arbres, mais ce ne sont pas les mêmes que l’année précédente ; les branches se sont allongées et les bourgeons ne sont pas disposés aux mêmes endroits…

2.     Rien n’est totalement Yin ni totalement Yang. Au sein d’un phénomène, qu’il soit de tendance Yin ou Yang, se manifeste une infinité de nuances. Sur le symbole, chacune des zones contient un petit cercle de couleur opposée : au sein de Yin se trouve toujours un peu de Yang, et réciproquement. Les orientaux emploient les qualificatifs Yin de Yin, ou Yang de Yin, ou encore, Yin de Yang, etc.

Exemple : Une femme (par définition de nature Yin) pourra avoir une anatomie plutôt Yang (avec des caractères féminins peu marqués extérieurement : Yang de Yin), une grande sensibilité (tendance Yin de Yin), et un mental très actif, très cartésien (tendance Yang de Yin), etc.

Cette compréhension induit que matière et énergie ne sont pas opposées. Elles sont 2 aspects d’un même « souffle », plus ou moins dense, plus ou moins subtil. Chaque manifestation résulte de l’interaction de ces deux  réalités, dans des proportions différentes. La science actuelle, à travers la mécanique quantique, a mis en lumière cette double nature de tous les phénomènes : à la fois onde et particule… Ou plutôt, ni vraiment onde, ni vraiment particule !

De même, le corps et l’esprit sont indissociables. Les neurosciences ont récemment attesté des modifications chimiques qui se produisent dans le corps de façon instantanée, lorsqu’on est confronté à une forte émotion. Le corps et l’esprit forment un tout, pour lequel il convient de rechercher l’osmose, l’équilibre le plus juste, afin d’occuper notre place d’être humain, debout entre ciel et terre. Notre mission consiste à faire le lien, à réaliser une synthèse, à manifester sur cette terre, la lumière de l’énergie céleste.

Alors, comment décliner cette compréhension dans la vie quotidienne ?

Remarquons tout d’abord, que des concepts tels que : grand/petit, rarement/souvent, tôt/tard, etc., sont totalement relatifs. Ils n’ont de sens que par rapport à une norme, ou par comparaison.  

Quelques exemples : La croissance du corps physique, chez l’être humain, est lente par rapport à celle d’un poussin, mais rapide par rapport à celle d’un chêne.

De nombreuses substances sont toxiques pour l’organisme, mais deviennent thérapeutiques à dose infinitésimale.

Chaque fois que l’on énonce de tels concepts, il est important de les situer dans leur contexte.

Nous approfondirons ici quelques types d’oppositions (parmi beaucoup d’autres !), qui imposent bien souvent leur tyrannie dans notre vie quotidienne, bien que nous n’en ayons généralement pas conscience.

1. le bien/le mal – bon / mauvais – avoir tort/avoir raison – etc.

Cette opposition illustre tout à fait l’aspect relatif que l’on a décrit ci-dessus, mais elle mérite d’être particulièrement mise en évidence parce que nous sommes totalement imprégnés de cette vision manichéenne : « C’est bien ! C’est mal ! ». « C’est pas bien, de mentir ! » ; pourtant nous savons tous que dans certaines circonstances, il ne serait ni utile ni bénéfique de dire la vérité…

Bien sûr, toutes les actions qui portent atteinte au vivant sont à condamner. Mais de nombreuses opinions, de nombreux actes ou choix de vie, sont qualifiés de « mauvais », simplement parce qu’ils nous surprennent, parce qu’ils ne correspondent pas à ce que nous aurions fait ou à ce qui nous a été inculqué.

Les notions de bien et de mal sont véritablement fonction de la conscience que l’on a des choses. Par exemple certaines personnes sont très sensibles à la nécessité d’économiser l’énergie, et d’autres beaucoup moins, simplement parce qu’elles n’ont pas eu les mêmes informations, ou parce que, pour l’instant, leurs préoccupations personnelles ne leur permettent pas d’être disponibles à cette compréhension. Nous n’avons donc pas à porter un jugement positif ou négatif sur l’attitude des uns ou des autres.   

Quel que soit le domaine, nous n’avons pas à juger les autres de notre point de vue extérieur, car nous ne connaissons jamais réellement les circonstances ni les facteurs personnels qui les ont poussés à agir de la sorte… 

D’une manière générale, nous pouvons développer notre discernement, cette capacité à adopter la vision la plus large possible. Nous questionner : « Quels sont les facteurs qui ont pu intervenir pour aboutir à telle ou telle réaction, ou à tel ou tel phénomène ? ». Cette attitude permet de relativiser, d’avoir une vision plus juste. Dans une discussion, nous comprendrons mieux les différents points de vue. Nous serons plus nuancés dans nos propos, dans nos jugements : « Je suis d’accord avec toi sur ce point, mais sur cet autre aspect je pense plutôt que… etc.». Et les relations deviendront plus paisibles, plus constructives.

2. j’aime/j’aime pas – agréable/désagréable – ami/ennemi – etc.

Notre vie émotionnelle est entièrement régie par cette loi « d’attraction/répulsion ». Nous consacrons une très grande partie de notre énergie à rechercher ce qui nous semble agréable, et à fuir ce qui nous paraît désagréable. C’est tout à fait humain !

Soulignons au passage, que nous désirons quelquefois des choses bien contradictoires : avoir toujours du soleil, et en même temps un joli jardin verdoyant… avoir une entière liberté, mais surtout, ne pas nous retrouver seul… être aimé totalement, tel que l’on est, mais ne pas supporter les « défauts » de notre conjoint… Commençons par accepter nos contradictions. C’est la meilleure façon de les voir, un jour, se réconcilier.

Attraction, répulsion… Si on prend un peu de recul sur certaines de nos expériences, on s’apercevra que nos attirances spontanées n’ont pas toujours eu des conséquences « agréables », à moyen ou à long terme (par exemple : l’excès de gourmandise… qui peut nous rendre malade !).

Rien n’est totalement positif ou négatif pour nous, aucune situation n’est réellement parfaite, ni totalement désespérée. Et de toute façon, rien n’est permanent ! C’est ainsi que l’on voit quelquefois des amis devenir des ennemis, et réciproquement… Alors, apprenons à repérer les émotions qui surgissent pour éviter qu’elles nous manipulent, et pouvoir faire des choix en conscience.

Et quand nous sommes face à des évènements que nous n’avons pas choisi, sur lesquels nous n’avons aucune prise, laissons émerger notre étonnement, notre émerveillement devant l’imprévisibilité de la vie… Il y aura toujours certaines choses qui nous paraîtront agréables, d’autres désagréables, mais nous pouvons ouvrir notre cœur pour contenir ensemble ces deux réactions jumelles « j’aime/j’aime pas ». Leur intensité s’atténuera d’elle-même. Et contrairement à ce que certains croient, notre vie ne deviendra pas fade, au contraire elle s’enrichira et s’imprègnera d’une douceur pleine de joie. La vie, en elle-même, est un cadeau… Embrassons la vie dans ses multiples manifestations !

3. tension/relâchement – effort/repos – etc.

L’harmonie dans notre vie quotidienne repose sur un bon équilibre entre effort et détente, tension et relâchement. La plupart du temps, notre rapport au travail, et à l’activité en général, n’est pas adapté au rythme de notre biologie interne : au mieux, on alterne des phases de travail intensif, avec des phases de repos, que l’on gère plus ou moins bien parce qu’on a pris l’habitude d’être totalement identifié à notre rôle professionnel… Au pire, on ne s’autorise aucune trêve… De même sur les plans émotionnel et mental, il n’est pas facile de trouver le juste équilibre entre la volonté et le « laisser-aller » : « Est-ce que je cède à mes désirs, même si je les sais nuisibles pour ma santé, ou bien si j’y renonce totalement et définitivement ?… au risque de développer un sentiment de frustration qui sera tout aussi nuisible pour moi ?… ». Nous sommes bien souvent dans un excès ou un autre.

« La voie du milieu » est une expression qui se réfère à la pensée bouddhiste. Elle présente une voie spirituelle qui mène à l’éveil et à la libération de la souffrance. Cette voie consiste à éviter les deux extrêmes que sont : d’un côté l’attachement aux plaisirs sensoriels, de l’autre, la pratique de l’austérité ou de l’ascétisme.

D’après une légende, Bouddha aurait illustré le principe de la Voie du Milieu en prenant l’exemple d’un musicien qui explique à son élève comment accorder son instrument pour obtenir une harmonie parfaite : « Une corde trop tendue casse, une corde pas assez tendue ne sonne pas. »

4. tristesse/joie – espoir/découragement – optimisme/pessimisme – etc.

Nous traversons tous des phases de contraction, de fermeture, crainte, méfiance, étroitesse, confusion,…

Alors que par moments on éprouve sans doute des sensations d’expansion, d’ouverture, de confiance, de clarté, de sérénité, de joie,…

Il est possible d’atténuer l’intensité de ces humeurs cycliques, lorsqu’on en comprend les causes essentielles :

  • la relation que nous entretenons avec  nous-mêmes,
  • et la relation que nous entretenons avec les autres, et avec le monde d’une façon générale.

Ces deux aspects sont étroitement liés, totalement imbriqués l’un dans l’autre.

A la racine des difficultés : une compréhension erronée, dualiste.

L’appréciation que nous avons de nous-mêmes (tout comme celle que nous avons des autres, d’ailleurs !), est bien souvent de nature extrême. Elle oscille entre : « je n’y arrive pas, je suis nul », et « je sais que c’est moi qui ait raison », ou, plus subtil, « je ne juge pas mon voisin, mais… je pense quand-même que moi, je suis sur la bonne voie », etc. Soit je me dénigre, soit… je dénigre les autres ! ce qui est une façon de se penser meilleur qu’eux…

D’un moment à l’autre, en fonction des circonstances, je passe d’une piètre estime de moi, à une haute estime de moi-même, d’un sentiment d’infériorité, à celui de supériorité. Ces ballottements sont souvent très accentués par le fait que je me compare aux autres. Mais ils se produisent aussi quand je suis seul avec mes questionnements intérieurs. Je regarde mes faiblesses, mes limites, ou mes réussites, avec le regard du « j’aime/j’aime pas », autrement dit avec mon émotionnel.

En fait, je juge mes attitudes en fonction de l’image que je me fais de moi-même, en fonction du personnage que j’aimerais être. Mais qui suis-je réellement ? Je n’ai pas confiance en ma valeur infinie, en tant qu’être humain. Je ne suis pas à l’écoute de l’amour inconditionnel que la Vie met à ma disposition.

Une estime de soi équilibrée, stable, est le fruit de la conscience que nous avons de notre être profond, conscience de la flamme de Vie qui nous habite, conscience de notre essence sacrée…

Notre relation aux autres, notre relation au monde d’une façon générale, est directement liée à la relation que nous entretenons avec nous-même.

Si nous sommes peu reliés à notre source intérieure, nous nous sentons en dualité avec le monde. Nous nous percevons comme autonome, séparé des autres, extérieur au monde, alors qu’à chaque instant, nous entretenons avec lui des échanges de toutes sortes : gazeux (respiration), alimentaires, mais aussi des échanges verbaux, émotionnels, spirituels. La sagesse taoïste nous enseigne que nous sommes animés par le même souffle…

Cette sensation de séparation, erronée, est due à l’importance disproportionnée que nous accordons à notre intellect, à notre mental. Ce mental qui analyse, qui interprète, mesure, compare, se raconte en permanence des histoires sur notre passé ou sur notre futur. Nous nous coupons de nos ressentis, de notre intuition, de la vie qui coule en nous. Nous nous identifions à nos pensées, alors que nous sommes tellement plus que cela…

Au fil des siècles, l’être humain, pour comprendre le monde, pour mieux l’observer, a entrepris de le morceler, de le disséquer ; il a fait des catégories : la géographie, les sciences naturelles, etc., puis des sous-catégories : les vertébrés, les invertébrés, etc., puis des sous-sous-catégories, etc. Cette compréhension a, bien sûr, une grande utilité. Elle permet d’avoir une connaissance des différents éléments et de leurs interactions. Elle permet de construire, de créer. Elle nous ouvre à l’extraordinaire multiplicité des formes que peut prendre la Vie. Mais il nous reste maintenant à dépasser ces catégories, pour appréhender le monde dans sa globalité, dans sa complexité. Nous pourrons ainsi percevoir l’essence commune qui nous unit à chaque être vivant, et contempler son infinie beauté.

Il ne s’agit pas d’entretenir une représentation du monde un peu floue, où toutes choses se confondent. Non ! Chaque parcelle de l’univers est unique, et révèle un fragment de vérité. La dualité n’est pas une illusion, mais elle est seulement la face apparente des choses, voilant une réalité plus subtile. La profonde unité qui imprègne tous les êtres vivants est inaccessible à nos yeux et à nos oreilles, mais perceptible par notre faculté d’intuition.

Alors nos états d’âme seront moins extrêmes, moins fluctuants, et en parallèle, nous apprendrons à les accueillir, à les aimer tels qu’ils sont. Parce qu’ils font partie de la vie. Parce qu’ils sont sa pulsation : tristesse, optimisme, découragement, amour, repli sur soi, harmonie, …

Puissions-nous rester unis au courant de Vie qui nous traverse !

D’une manière générale

Soyons présents à nos fonctionnements au quotidien, à nos paroles, à nos pensées. Acceptons de tout notre Etre, que les opposés soient indissociables et complémentaires ; acceptons le fait qu’ils n’existeraient pas l’un sans l’autre, et que la sagesse consiste à trouver à chaque seconde le plus juste équilibre entre : vigilance/détente, activité/contemplation, raison/intuition, sociabilité/solitude, fermeté/tolérance, courage/prudence, détermination/souplesse, etc. Finalement, entre le trop et le trop peu. Prenons le temps de réfléchir à chacune de ces paires d’opposés qui nous enferment, et à tous celles que nous pourrons observer au cœur de nous-mêmes.

Chacune de ces qualités, si elle est poussée à l’excès, risque de ne pas porter les fruits attendus. Par exemple, la persévérance peut devenir un acharnement, qui nous fait oublier d’autres qualités essentielles. A l’inverse, trop de souplesse, une capacité d’adaptation trop poussée, risquent de nous détourner de l’orientation que nous avions choisie.

Autre exemple : si j’ai trop de fierté,  je serai assez distant avec les autres, je vais me priver de ce qu’ils pourraient m’apporter ; mais si je suis trop humble, trop modeste, je risque de ne pas développer pleinement les qualités que la vie m’a confiées, et ainsi de ne pas les offrir à mon entourage.

Ne cherchons pas à lutter contre nos tendances duelles ! Cette attitude les renforcerait ! Simplement, le fait d’en prendre conscience fera qu’elles s’atténueront peu à peu.

Chaque situation requiert un dosage subtil, qui devra être réajusté à chaque instant. Par exemple : l’éducation d’un enfant prendra appui sur le couple tolérance/fermeté ; l’adulte devra être dans une démarche permanente d’écoute et d’observation : de lui-même, de l’enfant, et du contexte.

Cependant, ce travail d’observation et de réflexion, doit avant tout être guidé, inspiré par nos ressentis subtils, par notre intuition. Car la difficulté, c’est que « le juste milieu » ne peut pas se définir par une mesure mathématique ! Non seulement cet équilibre est différent pour chacun, maisil est également différent selon les situations, selon notre état du moment, etc. Il n’est jamais stable, jamais acquis.C’est une dynamique, une oscillation, une recherche permanente de l’attitude la plus juste, la mieux adaptée à chaque situation. Restons centré, et faisons confiance à nos ressentis : quelle attitude nous est suffisamment agréable pour nous donner envie d’être généreux, pour nous rendre disponibles aux autres et à la bonne marche du monde ? Laissons-nous guider par notre cœur.

Pour conclure…

Tout déséquilibre engendre de la souffrance. Soyons attentifs à nos schémas de pensée dualistes, qui entraînent généralement une réaction émotionnelle (j’aime/j’aime pas), ou un jugement de valeur (c’est bien/c’est mal). Il ne s’agit pas de nier les différences, ni de s’interdire d’avoir des préférences ! Mais la réalité peut être interprétée de multiples façons. Nous pouvons accueillir les contradictions, les paradoxes, percevoir les opposés dans une vaste synthèse, et ainsi apprécier la richesse de la diversité.  

Sur le plan personnel, ce regard donne un sentiment d’unité intérieure, et d’harmonie avec les rythmes universels. Il est source de sérénité, de confiance, et de joie. Il nous aide à accepter et à prendre en compte la complexité des personnes, des phénomènes, des situations, du monde… Il exerce notre mental au discernement, à une vision plus juste, plus claire, plus pertinente de la réalité. La vie prend, à nos yeux, un sens nouveau.

Au niveau collectif, qu’il s’agisse d’un pays ou d’un groupe quelconque, cette compréhension est un enjeu essentiel pour dépasser les attitudes qui divisent, qui opposent. En prenant en compte ce qui est essentiel, cet angle de vue élargi souligne les intérêts communs et apaise les conflits, qu’ils soient internes au groupe ou dirigés vers l’extérieur.

Chacun à notre niveau, nous pouvons travailler à cette vision unificatrice, plus vraie, qui ouvre sur la possibilité d’une civilisation éclairée et fraternelle.         

                                                                  

A nous la liberté ! 

Ce texte est une compilation d’extraits du livre « A nous la liberté ! », écrit par Christophe André, Alexandre Jollien, Matthieu Ricard.

Certains mots ou même quelques phrases ont été modifiés ou ajoutés pour faciliter la compréhension du texte, ou pour permettre de rendre l’enchaînement plus fluide. Le choix des extraits reprend les idées principales de l’ouvrage, même s’il reste subjectif et ne respecte pas forcément une place proportionnelle à chaque aspect de ce sujet.

Les trois auteurs se réunissent pour nous aider, pas à pas, à nous libérer des habitudes mentales, des blessures et des injonctions d’une société toujours plus tourmentée. Garder le cap, rester en lien et nous connecter aux ressources intérieures n’ont jamais été aussi nécessaires.

Le besoin de liberté intérieure est universel. En aucun cas et d’aucune façon, cette réflexion sur la liberté intérieure ne minimise l’importance de la liberté extérieure. Tant d’êtres humains sont encore prisonniers d’un régime totalitaire ou, pour toute autre raison, ne sont pas libres de leurs mouvements, de leurs paroles ou de leurs actes. D’autres, bien trop nombreux, sont prisonniers de la pauvreté et d’un accès limité à la santé et à l’éducation. Nous devons tout mettre en œuvre pour leur venir en aide. Mais il ne faut pas pour autant négliger la quête de liberté intérieure. Ce serait une erreur de croire que cette quête ne concerne que les nantis, ceux qui jouissent d’un plus grand confort matériel, culturel ou politique. Elle concerne chaque être humain, dans le confort comme dans la peine. Même dans des circonstances dramatiques, il est vital de trouver à l’intérieur de soi-même un petit territoire intouchable, un îlot de résistance, une voix qui nous souffle « Ne laisse pas le désespoir, la haine, ou la peur prendre les commandes de ton esprit, ne te soumets pas à leur dictature ». Soyons assez sages pour commencer ce travail intérieur dès aujourd’hui, vis-à-vis de nos petites misères du quotidien, sans attendre de rencontrer une grave épreuve…

Nos souffrances et nos peurs sont les prisons invisibles dont nous avons le plus grand mal à sortir. La vie quotidienne, elle aussi, nous tend de nombreux pièges : le piège des habitudes, le piège des préoccupations et celui des tâches triviales (payer le loyer, sortir les poubelles, répondre à ses mails…). Nous négligeons de dégager du temps pour ce qui donne du sens à notre vie : contempler la nature, partager avec nos amis, réfléchir à nos idéaux, se réjouir d’être en vie…   

Erasme dit que « On ne naît pas homme, on le devient. » Et si c’était vrai de la liberté ?

La liberté se construit, se découvre. Pour en jouir, nous sommes conviés à nous inscrire dans un processus de « libération », à nous mettre en route, à dire adieu aux préjugés, à quitter les projections, la foule d’attentes qui nous tiennent à la gorge. Lorsqu’on lui demandait qui il était, un sage répondait, non sans espièglerie : « Un esclave en voie de libération ! » Sagesse et liberté avancent main dans la main. Le défi de la vie spirituelle réside donc dans une audace : oser paisiblement bâtir un chemin vers la liberté, pour redécouvrir un rapport lucide, joyeux, à soi et au monde.

Et si le premier pas consistait à repérer tranquillement le mode de pilotage automatique qui nécrose notre quotidien ? C’est avec nos blessures, nos dysfonctionnements internes, nos lacunes, mais aussi avec une foule de ressources insoupçonnées que nous sommes invités à inaugurer la liberté. D’où la nécessité de connaître autant que possible le fonctionnement de notre esprit. Faisons le point : à qui, à quoi avons-nous confié la télécommande de notre existence ? A la colère, aux ressentiments, à la jalousie ? A la meilleure part de nous-même ? Qu’est-ce qui occupe le centre de notre quotidien ? A quoi sommes-nous attachés ? Quels sont les grands désirs, les profondes aspirations qui charpentent notre intériorité ? Nous pourrons alors regarder avec lucidité les contraintes qui nous lient : celles que nous avons librement choisies et que nous assumons (comme certains engagements familiaux et professionnels), et d’autres, sur lesquelles nous pourrons poser l’intention de nous en affranchir, et commencer à les habiter différemment.

Nous allons maintenant nous interroger sur les obstacles qui se dressent sur le chemin de la liberté intérieure, mais aussi sur les moyens de la cultiver et de l’approfondir, afin qu’elle devienne une véritable manière d’être.

1.    LES OBSTACLES A LA LIBERTE INTERIEURE 

L’acrasie, la dépendance, la peur, le découragement et le désespoir, l’égocentrisme, ainsi que l’égarement sont autant d’obstacles à la liberté intérieure.

L’acrasie et la dépendance

Acrasie et dépendance présentent de nombreuses similitudes, même si le degré d’asservissement est encore plus profond dans cette dernière.

L’acrasie, c’est la faiblesse de la volonté, c’est le gouffre abyssal qui semble séparer les intentions et les actes. « Je sais ce que je devrais faire, je pourrais le faire,… mais je ne le fais pas ». Elle révèle aussi notre intolérance à l’incertitude, à l’inconfort et à la souffrance, une incapacité à faire face à nos émotions douloureuses et négatives.

L’acrasie peut gangréner bien des domaines de l’existence. La boulimie, l’addiction aux écrans, les relations toxiques, bref, autant de lieux de déchirement intérieur qui viennent révéler notre inertie, notre incapacité à tenir nos engagements. Comment sortir de l’engrenage, comment sortir de ces habitudes mécaniques qui nous aliènent, réduisent à néant tous nos efforts, entretiennent des sentiments de tiraillements, d’impuissance et de découragement ? Sans parler de la culpabilité qui nous ronge…

La dépendance, quant à elle, est reconnue comme une pathologie. Médicalement, être dépendant c’est ne plus pouvoir se passer d’une substance (alcool, drogues…), d’un lien (dépendance affective ou sexuelle), ou d’un comportement (dépendance au regard d’autrui ou aux compliments). Nous sommes tous dépendants : de l’eau, de l’oxygène, des autres humains. Mais ce dont nous parlerons ici, ce sont des dépendances qui nous font souffrir.

Les neurosciences ont étudié les mécanismes de la dépendance. A force de répéter des expériences plaisantes, on renforce les réseaux cérébraux qui nous font désirer ces expériences. Il arrive un moment où l’on n’éprouve plus le plaisir initial, mais on continue à désirer cette expérience encore et encore. On désire quelque chose qui ne nous procure quasiment plus aucun plaisir et qui peut même nous dégoûter. Il a été montré que l’entraînement de l’esprit peut remodeler nos connexions neuronales, qu’il est possible de nous « déconditionner », pensée après pensée, émotion après émotion. Cependant, outre les efforts de volonté et la nécessité de maintenir ces efforts suffisamment longtemps, il y a d’autres obstacles chez les sujets en état de dépendance : il est plus difficile d’activer les aires du cerveau liées à la volonté ! Ensuite, le cerveau devient hyper-réactif aux stimuli qui déclenchent les comportements addictifs. Enfin, l’aire du cerveau qui permettrait d’actualiser une transformation est inhibée. Un quadruple obstacle, donc…

Et puis il y a aussi, malheureusement, une habitude de l’inconfort, quand celui-ci a duré trop longtemps. De l’habitude on passe à la résignation, puis à la soumission ; on suit la pente du moindre effort, même si elle est douloureuse et nous conduit au pire.

Ce qui vient encore accentuer la dépendance, c’est cette vie semi-clandestine qu’elle induit. La peur du rejet, la crainte du regard de l’autre, l’angoisse d’être jugé faible, lâche, tous cela nous conduit à nous isoler. Seul l’amour vient à bout de ces redoutables obstacles !

Enfin, le sentiment de culpabilité nous ronge et nous empêche de nous attaquer aux vrais problèmes.

Quelques mots sur la dépendance affective… Sachant que celle-ci, d’ailleurs, n’est pas toujours perçue comme telle…

Nous avons tous besoin de liens affectifs forts et sécurisants avec notre entourage, et ceux-ci sont une véritable source de bonheur, lorsqu’ils ne sont pas focalisées sur une unique personne, lorsque nous ne sommes pas dans une fusion totale avec celle-ci, et que nous pouvons supporter des périodes d’éloignement transitoires, sans nous sentir en danger. Comme toutes les dépendances, les dépendances affectives se nichent dans des besoins normaux, dont nous perdons le contrôle. Celui qui souffre de lien affectif toxique réduit considérablement sa liberté, sa capacité à apprécier la richesse du monde et à s’en nourrir. Seul celui qui est censé combler ses manques soulage ses tensions intérieures. Tout le reste passe au second plan, voire disparaît de ses pôles d’intérêt.

Consommer, nous adonner à un comportement addictif, c’est toujours chercher du réconfort, une consolation, du répit. Une dépendance révèle toujours un mal-être que l’on refuse d’affronter. Fuir une réalité, s’évertuer à calmer une détresse, à chasser un tourment, à s’anesthésier.

Le sentiment de manque relève d’un sentiment d’incomplétude. On a l’impression qu’il nous manque quelque chose d’indispensable à notre bonheur, quelque chose d’absolument vital. Or, le manque ne sera jamais comblé par la possession d’objets ou de personnes, ni par la recherche de situations anesthésiantes. L’état de « plénitude » résulte plutôt d’un sentiment de cohérence, un sentiment de paix et d’unité, libre d’attirance et de répulsion, de manque et d’assouvissement.

On peut considérer la dépendance comme une maladie dont il faut apprendre à contenir les ravages au moyen d’une batterie de stratagèmes.

Contrairement à l’idée très répandue « on ne peut pas changer ; chassez le naturel, il revient au galop », il est possible d’évoluer, si nous décidons de nous mettre à la tâche. On sait maintenant que la neuroplasticité – la capacité du cerveau de se modifier en fonction de nos expériences – nous permet de changer à tout âge. Ce changement intérieur peut être provoqué par une modification des circonstances extérieures, mais aussi par le développement de capacités restées jusqu’alors à l’état latent. On peut apprendre à lire, à jongler, mais aussi à cultiver des qualités humaines essentielles, comme l’attention, l’équilibre émotionnel, la bienveillance… Dans tous les cas, pas d’entraînement, pas de changement. Si vous vous êtes cassé la jambe, la rééducation exige des efforts, mais cela vaut mieux que de marcher avec des béquilles jusqu’à la fin de vos jours. Savoir que notre souffrance provient des traces laissées dans le cerveau par nos mauvaises habitudes nous montre aussi que rien n’est gravé dans la pierre, et que l’on peut inverser ces processus.

Certaines personnes témoignent aussi qu’après avoir tenté maintes fois de s’en sortir, il y a eu, à un moment donné, un point de bascule. Elles s’en sortent d’un seul coup, une fois pour toutes. Elles restent vulnérables toute leur vie à la drogue ou à l’alcool, elles le savent bien et n’y touchent plus jamais. Sinon, c’est la planche à savon…

Les propositions suivantes, qui concernent la dépendance, seront bien sûr applicables également dans le cas de l’acrasie.

Il faut garder à l’esprit que nos efforts vont forcément s’inscrire dans une durée, puisqu’on va reconfigurer nos circuits cérébraux. On va lutter contre des mécanismes très enracinés. Nos progrès seront suivis de rechutes ou de régressions, qu’on ne devra surtout pas interpréter comme des preuves de l’inaptitude à changer, mais comme le signe qu’on a trébuché sur le chemin et qu’on doit « simplement » se remettre en marche.

Placer sa vie sous le signe de la liberté, c’est avant tout inscrire le quotidien au cœur d’une dynamique. Se lancer dans une ascèse joyeuse.

Une première étape consiste à reconnaître les dégâts, contempler sans crainte les bobos de l’âme et du cœur. Repérer avec une infinie bienveillance, les zones de notre vie où nous sommes fragiles, afin de nourrir une vigilante attention. La nourriture, l’alcool, la sensualité, le sexe, la soif de reconnaissance… Où sommes-nous invités à œuvrer pour aller mieux, pour devenir plus libres, plus légers, moins épris de soi ? 

Ensuite, essayons de définir un objectif ou une tâche précise, bien circonscrite, et surtout accessible. Une suite de petits efforts répétés porteront leurs fruits. Et bien sûr, il nous faudra cultiver la patience, la persévérance, et plus encore : la motivation. « Notre motivation est la barre du bateau : elle détermine la direction. La volonté est le vent qui gonfle les voiles et nous permet d’arriver à bon port. »

Contre le découragement, se souvenir que tout est provisoire, impermanent. Accepter par moments de se laisser flotter, accueillir la pagaille. Echecs, épreuves, fragilités ne sont peut-être pas ultimement des freins à notre progrès, ils forment le terrain, le socle d’où peut jaillir une existence plus sereine, plus joyeuse, selon les forces du jour, (même) en plein chaos.

Mais lutter contre la dépendance ne suffira pas.  En parallèle, de ces efforts, il est essentiel d’identifier ce qui nous nourrit en profondeur, et ainsi nous rend plus fort. Spinoza nous livre un outil des plus puissants : reconnaître ce qui nous met véritablement en joie, comme le désir de créer, d’aimer, de partager, d’utiliser notre potentiel de transformation,… Prêtons l’oreille pour identifier les besoins et les plaisirs de notre cœur. La joie débouche sur la liberté. Oui, seul un cœur léger, rieur, généreux peut allègrement renoncer aux plaisirs éphémères qui nous apportent seulement des miettes de bien-être. 

Et enfin, oser la transparence, oser demander de l’aide. Les thérapies de groupe ou l’association des Alcooliques Anonymes montrent la force de la solidarité face à l’addiction. Quel soutien, quelle joie de trouver un lieu où l’on ne subit plus la peur du rejet, l’angoisse de passer pour un lâche, un faible !  De pouvoir se confier aux autres, de partager le même but de s’en sortir en s’épaulant les uns les autres et en acceptant d’être guidés dans ce processus ! La méditation de pleine conscience, ainsi que la spiritualité peuvent aussi apporter une aide puissante.    

La peur

Nous parlons ici des peurs imaginaires, et non des dangers réels, face auxquels la peur peut être salutaire.

Au-delà de l’inconfort ou de la douleur qu’elle provoque, la peur réduit notre liberté de façon durable : consciemment ou non, nous vivons dans la préoccupation permanente qui consiste à éviter ce qui nous semble menaçant.

Apprendre à affronter les crises, à ne plus craindre leurs retours est essentiel. Cependant ça ne se décide pas, ça se travaille. En dehors des crises, il s’agit d’un véritable entraînement au quotidien : élargir son regard, apprécier ce qui va bien dans sa vie, ce qui fonctionne bien, ce qui aide et ce qui rend fort.

Faisons appel à notre raison : parmi nos mille et une peurs, combien se sont réellement matérialisées en situations dramatiques, dans la réalité ? Et combien d’entre elles se sont révélées totalement injustifiées ? Nous en conclurons certainement que la peur n’est rien d’autre qu’une fabrication de l’esprit, et qu’il n’y a aucune raison de s’y soumettre.

Lorsque nous serons plongés dans une émotion perturbatrice, ces ressources nous permettront de traverser celle-ci avec davantage de distance, d’observer le problème avec sa part réelle et sa part imaginée, de ne plus traiter le risque hypothétique comme la difficulté réelle.

Avant d’affronter nos plus grandes peurs, nous pouvons commencer par faire face à celles qui sont moins intenses. Les efforts pour s’affranchir des « petites peurs » sont les mêmes que ceux qui vont nous servir pour les grandes.

Observons : « Qu’ai-je sous les yeux ? De quoi ai-je peur ? Qu’est-ce qui me met dans un état pareil ? » Ancrons-nous dans notre respiration, dans notre corps. Regardons nos pensées, tout ce qui est en train de déferler… Par une étrange illusion d’optique, la conscience se fixe, se focalise sur un point, sur certaines pensées qui tournent en boucle, en oubliant tout le reste. L’exercice de « la vision panoramique » consiste alors à prendre conscience de ce qu’il y a autour, à côté de l’angoisse, et de s’ouvrir au monde qui est bien plus grand que ce moi agité. Sous le regard de cette « présence attentive », qui ne s’identifie pas à la peur, laissons-la se dissoudre d’elle-même peu à peu.

Mais la logique n’a pas toujours réponse à tout, et les arguments ne parviennent pas toujours à démonter les craintes irrationnelles. Dans ce cas nous pouvons pratiquer l’art du détour : dévier notre attention sur des choses qui nous distraient, nous tranquilisent,…

Cependant, pour trouver un apaisement durable, il nous faudra oser la confiance ! Il y a sans doute deux approches de la confiance. D’abord, espérer dégoter un jour un gilet de sauvetage, des manchons, une bouée pour traverser les hauts et les bas du quotidien. A côté il y a cet abandon, cette déprise de soi, cette disponibilité intérieure qui aide à envisager la vie sans avoir absolument besoin d’une sécurité, en flottant sans s’accrocher à rien. Laisser la vie être ce qu’elle est, lui ouvrir les bras…

Bien sûr, une fois encore, ne surestimons pas nos forces, osons partager, nous entourer d’amis, demander de l’aide, ou faire appel à des thérapeutes…

Le découragement et le désespoir

Le découragement repose sur une usure, une fatigue, une déception quant à un résultat qu’on espérait, un sentiment d’incapacité face à un objectif. Il s’apparente à une sorte de tristesse, avec tous les degrés d’intensité, qui vont de la lassitude au découragement, puis au désespoir. Le risque du découragement, c’est le renoncement subi, conséquence d’un acharnement, d’un épuisement. En prévention, on aurait pu faire le choix de renoncer en amont, accepter de lâcher prise, de s’accorder du repos. Il est quelquefois préférable de tourner ses efforts dans une autre direction et de garder sa sérénité.

Le désespoir, c’est du découragement, fixé, cristallisé, enraciné.

L’excès de rumination du passé, et d’anticipation anxieuse de l’avenir, est un des signes précurseurs de la dépression. S’affranchir des tiraillements de l’espoir et de la crainte nous rapproche donc de la liberté intérieure.

Ici, il n’est pas inutile de distinguer l’espérance de l’espoir. Ce dernier est généralement limité, focalisé sur un objet précis : « J’espère trouver un bon boulot », ou « J’espère rencontrer une femme – ou un homme », que sais-je… Je me lève chaque matin, les yeux braqués sur cet objectif, le reste du monde n’existe pas. L’espérance, quant à elle, tient d’une disponibilité intérieure, d’une ouverture. « La meilleure chose à faire parfois dans nos vies, c’est de renoncer à espérer, à attendre, renoncer à s’attacher, pieds et poings liés, à des objectifs ».1 L’espoir s’accroche à une sécurité, l’espérance nous plonge dans la confiance et l’abandon. Elle ne se cramponne pas à un bonheur sur-mesure, mais nourrit la conviction que l’existence autorise toujours des occasions de joie et de progrès.

Cependant nos espoirs ne sont toxiques que s’ils se focalisent sur un unique objet, à l’exclusion de toute autre chose. Nous n’avons pas à nous affoler qu’il existe dans nos vie des sources de souffrance et des sources d’espoir, mais il nous faut bien vérifier qu’elles s’inscrivent dans un lien au monde qui reste ouvert, fluide, vivant, actif… Ne pas se laisser aigrir par l’échec, ne pas se blinder, toujours s’ouvrir. Nous vivons grâce et avec les autres. Pour le meilleur et pour le pire. Notre sensibilité, qui nous rend si vulnérables, demeure peut-être une chance, un cadeau, une porte ouverte vers la grandeur qui peut habiter un cœur. Il faut bâtir un art de la joie au cœur du chaos, trouver la paix au sein même du tourment.

Deux règles à respecter lorsque nous sentons monter en nous le découragement : ne pas rester seul ; et ne prendre aucune décision importante…

L’égocentrisme

L’égocentrisme est fondamentalement un obstacle sur le chemin de la liberté, et un rétrécissement du monde : si l’on vit avec le sentiment exacerbé de l’importance de soi, si l’on se représente l’ensemble de nos rapports aux autres et au monde en fonction de notre ego, on instrumentalise les personnes (est-ce qu’ils vont m’apporter quelque bienfait ou menacer mes intérêts ?). On est ainsi soumis au diktat de ce petit tyran qui ne possède aucune limite dans ses caprices et ses exigences. L’univers apparaît comme une sorte de catalogue où l’on pourrait commander tout ce que l’on souhaite. Et l’on est malheureux parce que le monde n’est pas configuré pour satisfaire nos demandes sans fin. L’égocentrisme mène à la frustration et au tourment. On finit par être obsédé par le moindre plaisir ou déplaisir, on devient le jouet de ces réactions d’attirance ou de répulsion, et loin d’être libre, on devient très vulnérable.

Bien sûr, tout cela est à nuancer. Nous sommes tous plus ou moins égocentrés.

Quand on échange avec des proches ou des connaissances, est-ce qu’on s’étale beaucoup sur nous ? Est-ce qu’on a tendance à monopoliser la parole ? Est-ce qu’on prend des nouvelles de l’autre, avec un intérêt sincère ? Est-ce qu’on prend le temps d’écouter ce qu’il dit avec attention ? Est-ce qu’il nous arrive de penser aux personnes qui se trouvent en réelles difficultés : corporelles, psychologiques, matérielles, professionnelles ou autres ?

Ne nous accusons pas, ne nous culpabilisons pas ! Repérons simplement ces moments où nous sommes excessivement autocentrés et demandons-nous de quoi ils sont le symptôme. Où est le problème derrière les « moi je moi je » ? Où est la souffrance ? Epreuves, blessures, mépris de soi, manque de confiance, comparaisons, instinct de conservation, tout concourt à ce que le petit moi s’arc-boute et se replie sur lui.

Il est important de ne pas porter de jugement moral sur l’égocentrisme. Il relève avant tout d’une erreur. Erreur de perception émotionnelle, quand la souffrance en est la source, ou erreur de jugement intellectuel, quand on calcule qu’on obtiendra davantage en faisant cavalier seul qu’en coopérant. Si l’on ne s’intéresse qu’à l’atteinte de ses objectifs personnels, il est probable que l’on se trompe fondamentalement en s’enfermant dans « la bulle de l’ego ». Se refermer sur l’ego, c’est s’appauvrir et s’affaiblir : c’est un oubli profond de ce que peuvent nous apporter les autres (par leur aide, leurs conseils, leurs points de vue, leur affection, leur regard), un oubli aussi du bien-être que peuvent nous procurer les moments d’échange avec eux. Une part notable de ce qui nous rend heureux vient de ce que nous donnons et recevons.            

Ce n’est pas « moi OU les autres », mais « moi ET les autres ». Qu’il s’agisse de bonheur ou de malheur. Ce n’est pas « mon » bonheur contre celui des autres ; je dois apprendre à me réjouir du bonheur d’autrui : il n’enlève rien à mon propre bonheur, et s’il doit avoir un effet il sera positif, car un entourage heureux sera plus à même de m’aider, de m’écouter, de m’aimer.

A chacun, donc, de prendre conscience de la façon dont il se positionne dans ses relations à autrui, puis de déplacer progressivement le curseur vers davantage d’écoute et d’attention aux autres. 

Il y a des personnes assez naturellement altruistes, question de gènes, d’éducation ou de trajectoires de vie. Pour les autres, il faut faire des efforts réguliers ! On commence souvent par un altruisme avec des attentes, nous avons besoin d’être récompensés. Rien de méchant si ce n’est qu’une étape ; mais attention aux déceptions ! Régulièrement me rappeler que si je suis déçu, c’est mon problème, pas celui de l’autre. Puis il y a l’altruisme sans attente, vers lequel on s’efforce de progresser… Là, on est vraiment dans la liberté intérieure, on vit la légèreté de l’altruisme sans rien attendre en retour. Rencontrer l’autre par pur amour.

L’égarement

S’égarer, c’est perdre son chemin, le chemin de ce qui est bon pour nous, important pour notre vie.

On peut être égaré : soit parce qu’on n’a pas défini de chemin (on vit au hasard des influences extérieures, on se laisse balloter par les évènements), soit parce qu’on a de trop nombreux objectifs (on n’arrive pas à hiérarchiser), soit parce qu’on n’a pas défini le « bon » objectif, celui qui donnerait du sens à notre vie, soit parce qu’on ne s’y est pas pris de la bonne façon. Dans tous les cas, on est désorienté, confus, troublé, on erre, on se fourvoie. Notre distraction et notre dispersion nous égarent ; elles nous détournent de l’essentiel, gentiment, l’air de rien.

 Un pêcheur est assis à l’ombre d’un arbre, au bord d’un lac. Il joue avec ses enfants. Survient un homme de la ville, qui contemple la scène et entame la conversation.
– Bonjour, que faites-vous dans la vie, mon bon monsieur ?
– Je suis pêcheur. Mon bateau est là, sur la berge. J’ai pêché toute la matinée.
– Pourquoi ne pêchez-vous pas l’après-midi ?
– J’ai de quoi nourrir ma famille pour les deux jours à venir.
– Mais si vous pêchiez toute la journée, vous pourriez aussi vendre votre poisson ?
– Et alors ?
– Alors, vous auriez de quoi payer un associé, vous pêcheriez plus de poissons et augmenteriez vos revenus.
– Et que ferais-je de cet argent ?
– Eh bien vous pourriez acheter un deuxième bateau et prospérer davantage !
– Et après tout ça ?
– Vous pourriez arrêter de travailler et passer du bon temps à vous détendre et à jouer avec vos enfants.
– Mais c’est exactement ce que je suis en train de faire !            
Conte indien

Cette constatation implique de réfléchir sur nos choix existentiels (Qu’est-ce qui me paraît essentiel ? Quelle direction donner à ma vie ?). Par exemple, nous souhaitons être heureux, et nous estimons que pour cela, il faut être riche, puissant, célèbre ; et nous tournons le dos à des valeurs comme l’amitié, l’équilibre émotionnel, ou un mode de vie plus tranquille, qui auraient pu engendrer un épanouissement durable.

Une autre forme d’égarement provient du refus ou de l’incapacité à voir le monde tel qu’il est. Par exemple, nous nous attachons aux choses ou aux personnes, comme si elles étaient permanentes, alors que tôt ou tard, nous les perdrons, ou bien c’est elles qui nous perdront. Autre exemple : dans les premiers temps d’une relation, on trouve qu’une personne est 100% désirable, on ne lui trouve aucun défaut ; puis viennent les disputes, et on la juge alors 100% haïssable, alors que fondamentalement, à quelques changements près, elle est toujours la même. Comme tout un chacun, les gens sont un mélange de qualités et de défauts. Asservis par l’égarement, nous réagissons d’une façon excessive et inappropriée. D’une manière générale, nous nous racontons souvent des histoires, soit rassurantes, en idéalisant le réel, soit angoissantes en le dramatisant. Dans les deux cas, nous perdons lucidité et liberté. La capacité de voir les choses telles qu’elles sont, et de nous regarder nous-même tel que nous sommes, nous libère du joug des tourmentes émotionnelles. Descendre en soi-même, tendre l’oreille vers l’intérieur, ne pas se fuir, aident à se libérer. Et parfois nous verrons que l’égarement, c’est de continuer dans une certaine direction, à un moment où il faudrait au contraire changer. Nos émotions sont un signal d’alarme, notamment les inquiétudes et insatisfactions ; sachons les écouter et remonter à leur source.

Il est normal de régulièrement s’égarer : la vie est compliquée ! Mais à chaque fois que nous en avons conscience, c’est l’occasion de prendre rendez-vous avec soi ou avec quelques proches, pour identifier quels nouveaux équilibres de vie nous fixer.

1 « Le Bonheur, désespérément » – André Comte-Sponville

 2. L’ECOLOGIE ET LA LIBERTE

Les lieux ont une influence sur nos états mentaux, et par extension, sur notre liberté. Quel que soit le lieu où l’on habite, il est important de trouver des oasis dans notre existence : des lieux et des moments où l’on peut se ressourcer. Dès que cela nous est possible, prenons des temps d’immersion dans la nature, ou dans les parcs urbains si nous vivons en ville. Prenons le temps d’observer ces « nourritures invisibles » que sont l’air pur, les bruits doux et réguliers, les changements progressifs, le calme, la lenteur, la continuité. Prenons le temps de respirer. Pour Plotin, l’âme devient ce qu’elle contemple. Où se pose notre regard du matin au soir ? De quoi se nourrit-il ?

Au-delà d’un environnement favorable, une écologie des liens est indispensable également. Certaines personnes nous rassurent par leur présence, nous inspirent le calme, nous font du bien par une sorte d’osmose positive. D’autres personnes, en revanche, même si elles ne disent rien, nous contraignent par leur attitude, leur posture, leur comportement, leurs actions… Les fréquenter nous met dans un état de semi-alerte permanent qui use notre sérénité et rétrécit notre liberté d’être. Il est important de ne pas juger ces personnes, d’essayer de les comprendre, mais de rester attentif à l’effet que peuvent avoir sur notre état intérieur les moments que l’on passe avec elles. C’est exactement la même chose avec les environnements sociaux que l’on côtoie, qu’il s’agisse de groupes de personnes « réelles » ou via les réseaux sociaux numériques.

Enfin, lorsqu’on parle de liens sociaux, l’idée n’est pas seulement de recevoir, mais aussi de donner : en entretenant des liens attentifs et chaleureux avec nos proches, nos connaissances, et même avec les inconnus, nous nous faisons du bien et nous embellissons le monde !

Enfin, il est essentiel de prendre conscience de l’impact de notre environnement culturel : les idées, les croyances, les valeurs, les attitudes, les connaissances et les compétences de la culture dans laquelle on évolue agissent sur nous, à notre insu, par une imprégnation discrète. L’éducation scolaire, la propagande politique, la publicité et autres formes d’incitation à la consommation, le comportement des personnes qui nous entourent ou de celles que les médias nous proposent, les manipulations plus subtiles comme le lobbying auprès des médias ou à travers le trafic de données Internet, etc., toutes ces influences pèsent sur nos pensées, nos motivations, nos décisions. Il est donc capital de le savoir pour apprendre à s’en défendre ! La conformité aux normes est encouragée par la communauté, tandis que la non-conformité entraîne la réprobation, voire diverses formes d’exclusion pour celui qui en est l’objet.

Soyons vigilants, quant à l’usage de nos écrans ; reprenons le contrôle ! Et n’oublions jamais que nous évoluons dans une société ultra-matérialiste… La « sobriété heureuse », cette magnifique expression de Pierre Rabhi, nous invite à redécouvrir ce qui nous rend pleinement humains : les rencontres, la culture, la solidarité, le progrès intérieur,… et la liberté !

A chacun d’exercer son discernement, une faculté à développer, à renforcer à chaque instant.

 3. LES EFFORTS VERS LA LIBERATION

S’il y a effort, c’est qu’il y a difficultés ! Que ces dernières soient extérieures (obstacles, adversité) ou intérieure (notre paresse, notre négligence, notre pessimisme, nos inquiétudes paralysantes,…).

Pour faire des efforts, il faut que nous ayons de bonnes motivations en amont. La motivation doit être examinée avec discernement. Pourquoi décidons-nous de nous donner à la pratique ? Est-ce encore un moyen de fuir un quotidien lourd et pénible ? Souhaitons-nous véritablement épanouir les immenses possibilités qui habitent le cœur humain ? Est-ce que nous faisons des efforts pour nous-même ou pour le bien de tous ?

Lorsque les efforts produisent des effets en aval, il est plus facile de persévérer. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit toujours d’une dynamique de long terme, et les efforts ont parfois un  effet différé. Dans l’éducation, par exemple, les efforts pour apprendre à nos enfants telle ou telle valeur peuvent sembler ne pas donner de résultats immédiats. Mais bien souvent, plus les enfants grandissent et s’éloignent de nous, plus on a la bonne surprise de les voir mettre en œuvre ces qualités, et adopter ces valeurs dans leur vie. Il y a comme un effet retard !

Quand le découragement guette, restons confiant dans le potentiel de transformation de l’esprit. Réjouissons-nous de ce qui a été accompli, lâchons prise sur ce qui s’est avéré au-delà de nos capacités, ou irréalisables en raison de circonstances adverses.

Il y a un juste équilibre à trouver entre la tension et le laxisme. Méfions-nous de toute rigidité, de toute crispation. La véritable ascèse est joie, allégresse, détente, générosité, paisible descente au fond du fond. L’humilité, précieuse antidote, empêche que l’orgueil s’empare de notre désir de progrès pour nous enfermer dans un stérile perfectionnisme. Comme disait un joueur de sitar : « Pour obtenir le plus beau son, je fais en sorte que les cordes ne soient ni trop tendues ni trop relâchées. » Des efforts mesurés, assidus et persévérants porteront davantage de fruits que des efforts importants mais irréguliers.

Pour résister au temps qui passe, aux fluctuations de la motivation, et aux déstabilisations de l’adversité, tout changement doit devenir une habitude enracinée. L’entraînement de l’esprit nous permet de fonctionner au quotidien plus sereinement, sans être absorbé par l’effort, ou concentré sur la difficulté : c’est un paradoxe, mais notre liberté a besoin d’automatismes, de « bons réflexes », pour s’exercer pleinement.

Le changement ne relève pas simplement de la volonté ou d’une démarche intellectuelle. Au-delà de la réflexion, la méditation de pleine conscience nouspermet de poser nos intentions dans un espace de conscience ouvert et fluide. Nos résolutions ne restent pas au niveau du cortex, du rationnel ; il y a quelque chose qui est plutôt de l’ordre de la réceptivité, du lâcher-prise, de l’imprégnation de zones cérébrales profondes du cerveau émotionnel. Et cela facilite ensuite la mise en pratique des comportements adaptés. Nous sommes moins esclaves de nos impulsions et de nos automatismes mentaux. La méditation n’est donc pas seulement une pratique spirituelle. Elle peut nous aider à cultiver l’attention, le recul, le discernement, l’équilibre émotionnel. S’arrêter quelques instants dans notre journée, et observer la nature de notre expérience : la respiration, les sensations, les émotions, les pensées…

Ce qui est parfois douloureux, c’est que nous ne sommes pas tous égaux face à l’effort : certains se démotivent parce qu’ils ont le sentiment que leurs efforts sont inutiles ou pas assez récompensés. Ne nous comparons pas aux autres, mais à nous-mêmes !

Tout apprentissage, tout entraînement (sportif ou autre) demande des efforts, particulièrement au début ; puis peu à peu, l’aspect contraignant fait place au plaisir. De la même manière, nous pouvons trouver du plaisir dans l’ascèse. Entraîner son esprit, c’est cesser de fonctionner en pilotage automatique, sortir un peu de sa bulle, s’ouvrir au monde, aimer le réel tel qu’il se propose. La vie spirituelle consiste, en partie, à affermir notre résilience, notre force d’âme, et surtout la liberté intérieure grâce à laquelle nous ne serons plus le jouet du gain et de la perte, de la louange et de la critique, de la renommée et de l’obscurité. N’est-il pas encourageant de savoir que ces qualités peuvent être magnifiées par l’entraînement de l’esprit ?

Dans certains cas, il n’y aura pas progression mais simplement maintien d’un équilibre que l’on n’arrivait pas à trouver sans ces efforts ; c’est donc aussi une belle récompense.

Pour pouvoir être soutenu dans la durée, l’effort doit être allié à l’enthousiasme et receler une part de joie, qui naît du sens donné à l’effort : il représente la façon la plus constructive d’accomplir ce qui nous tient vraiment à cœur.

Se lancer dans la pratique déborde du cadre étroit d’une ambition personnelle. En un certain sens, c’est toute l’humanité qui progresse en nous lorsque nous nous écartons de l’aigreur, de la fatigue, de l’égoïsme. Réaliser des efforts, ce n’est pas spéculer, espérer un retour sur investissements, mais se donner tout entier à l’existence. Même si ce n’est pas grand-chose, même si ce n’est pas tout le temps, même si c’est imparfait, tous nos efforts comptent. Tous !

 4. LES MOISSONS DE LA LIBERTE

Quelles sont les moissons d’une liberté parvenue à maturité ? Comment la sagesse qui accompagne cette liberté transforme-t-elle notre attitude vis-à-vis de la vie et de la mort, de nous-même et des autres ? Quel impact a-t-elle sur notre manière d’être et d’agir ?

La pacification intérieure

Se réconcilier avec son être, approcher la sérénité, c’est prendre le risque d’abandonner nos postures, oser chaque jour rejoindre un équilibre sans jamais s’installer dans de fausses sécurités. C’est inscrire notre liberté dans notre vie, avec ce corps, ces traumatismes, ces blessures, ces imperfections, ces mille et une ressources. Bref, c’est faire la paix avec tout ce que je suis sans forcément rêver d’être quelqu’un d’autre.

La paix intérieure augmente notre liberté : elle nous rend moins dépendants aux stimulants et excitants de la société de consommation (publicité, réseaux sociaux, distractions faciles et gratifiantes…).

Nous devenons moins vulnérables intérieurement : cela nous permet de nous ouvrir sans crainte aux autres.

La paix intérieure n’engendre pas la passivité, mais l’engagement calme. Elle ne débouche pas sur la monotonie, mais sur un regard affûté et sensible aux nuances, invisibles aux agités.

Bien sûr, nous demeurons imparfaits : pas question de nous censurer, de nous priver de toute forme de folie, de dérapages, ou d’excès… Mais l’art et l’habitude du travail sur la paix intérieure nous ramèneront plus rapidement sur la voie de nos vrais choix existentiels et de nos valeurs.

Notre nature profonde

Au réveil, suite à une anesthésie, il peut quelquefois nous arriver de vivre des expériences très fortes : un état de félicité, de dévotion et de confiance sans mélange. Un état d’esprit léger et lumineux. Une sensation de parfaite simplicité, comme celle d’un jeune enfant qui découvre la beauté de la vie avec un esprit neuf et transparent.

Un tel moment est-il révélateur de ce qui est présent au plus profond de l’esprit, lorsque les cogitations qui encombrent le champ de la conscience sont silencieuses ?

Cela peut aussi se produire lors de certaines méditations, lors de moments existentiels forts – face à la nature ou au ciel étoilé – , ou lors d’instants ordinaires mais auxquels nous sommes parfaitement présents : nous pouvons éprouver un profond bien-être, un sentiment de paix, de clarté et de gratitude. Autant d’irruptions de sérénité, non pas seulement venues des circonstances favorisantes, mais émergeant du plus profond de nous-mêmes.

Les grandes traditions spirituelles n’ont de cesse de nous rappeler qu’il y a au cœur de l’homme une plénitude, une santé fondamentale, des ressources inouïes. Pourtant, dans notre vie ordinaire, les moments où nous y avons accès sont d’une rareté exceptionnelle. Comment descendre tout à fait, comment rejoindre la joie, la paix, le ciel immaculé de la conscience infinie ? C’est à ce déménagement intérieur que nous invitent sages et philosophes.

Plus nous nous efforçons d’héberger dans notre esprit un certain type de regard sur le monde – posé, serein, soucieux d’objectivité, de vérité et de liberté –, plus nous aurons des chances que ce genre d’état émerge spontanément quand nous ne faisons plus aucun effort mental, quand notre cerveau passe en « mode par défaut ». On retrouve ici les fruits d’un entraînement de l’esprit, permis par la neuroplasticité du cerveau.

Et puis, soyons attentifs à ces petits instants de grâce, ces instants où nous nous sentons en harmonie avec nous-mêmes, avec les autres, avec la nature. Ces moments sont très précieux. Et chaque fois que nous avons la chance d’en vivre un, arrêtons-nous ! Savourons, rendons-nous présent… Ouvrons-nous au mystère que représente le fait d’être vivant et conscient, dans un environnement que nous croyons comprendre mais qui nous dépasse…

Face à la mort

Face à ce grand sujet intimidant, il est difficile de prétendre donner des conseils !

  Berceuse à Pépé 
Tu vas mourir, tu vas t’éteindre, comme une lampe de chevet,
Quand le matin commence à poindre,
Quand le bouquin est achevé.
Dors en paix, Pépé.
Tu vas abandonner ton souffle,
Les taches rousses de tes mains,
Et repasser sans tes pantoufles,
Le seuil du monde des humains,
Dors en paix, Pépé.  

Cet extrait d’une chanson de Claude Nougaro nous parle de cette mort arrivant doucement, logiquement, au terme d’une vie bien remplie, la mort comme le passage d’un seuil, et l’abandon de notre corps.

La mort est inévitable et son heure est imprévisible. Tenir compte de cette évidence, la comprendre au plus profond de nous-mêmes, nous permet de donner à chaque instant qui passe toute sa valeur, même si cet instant consiste à ne rien faire ou à regarder des oiseaux voleter sur un arbre en fleur. Cette prise de conscience n’a rien de morbide : elle nous permet de mieux vivre et nous évite de gaspiller le temps comme de la poudre d’or qui coule entre nos doigts.

Rien, absolument rien, dans notre mode de vie occidental, ne nous prépare à affronter la mort. C’est pourquoi cette idée est extrêmement angoissante pour beaucoup de gens : la peur de ne plus vivre, de perdre tout ce que nous aimons, tout ce à quoi nous sommes attachés, par le plaisir, le bonheur, l’amour. Séparation déchirante… Après le déclin des religions, l’homme ne sait plus où trouver la consolation face à sa propre fin.

Entre le déni et l’obsession, précisément, nous pouvons construire un rapport plus libre, plus léger, à notre mortalité. Les stoïciens nous recommandent d’agir, de parler, de penser comme des êtres qui peuvent à chaque instant sortir de la vie ; ils nous enjoignent à nous réconcilier avec notre impuissance, à oser une certaine gaité, sans nous attarder dans le chagrin, les reproches, la critique. En tant que passagers dans un monde éphémère et fragile, il s’agit d’expérimenter la joie, le don de soi et la générosité.

Reconnaissons la valeur inestimable de chaque moment de vie, et décidons d’en faire le meilleur usage, en vue de notre bien et de celui des autres.

L’éthique

Au fil des siècles, les mots éthique et morale ont pris des connotations différentes, même si leur étymologie est très proche. Les auteurs contemporains les considèrent comme des synonymes. Pourtant, de nos jours la morale a plutôt mauvaise presse, souvent comprise comme une injonction à se conformer à des prescriptions, des interdits, des dogmes…

Ethique et morale ne sauraient se réduire à la simple obéissance à une règle extérieure. Elle doivent trouver leur racine, leur origine dans l’intériorité, au cœur de l’intime.

Le bouddhisme adhère à une éthique naturelle, fondée sur la liberté intérieure, et inspirée par la bienveillance, une éthique qui surgit spontanément du fond de soi-même, libérée des dogmes infrangibles.

Ce ne sont pas les index pointés qui rendent l’homme meilleur, mais une lucide compréhension des mécanismes qui nous enferment dans les passions tristes. En ce sens, l’éthique est plus proche de l’altruisme, elle consiste à accomplir le bien d’autrui. La compassion ne procède pas d’un jugement moral, elle vise à remédier aux causes de la souffrance, quelle que soit la forme qu’elle puisse prendre.

Les religions ont généralement des points de vue très tranchés sur les grandes questions éthiques, comme l’euthanasie ou l’avortement. Dans le bouddhisme, les réponses dépendent du contexte vécu ; il faut examiner attentivement chaque situation. On va s’interroger sur les conséquences en termes de bien-être et de souffrance.

On pourrait arguer que l’enfer est pavé de bonnes intentions : on peut très bien vouloir faire le bien, et manquer complètement de discernement dans l’accomplissement de cette louable intention. C’est pourquoi il faut s’affranchir de l’égarement et des distorsions de la réalité, etprendre la décision la plus avisée pour le bien du plus grand nombre, sur le long terme.

De plus, nos comportements ne découlent pas automatiquement de nos valeurs morales ! Notre morale doit être travaillée ! Etre d’accord avec des préceptes moraux ne suffit pas. Nous avons à fournir des efforts constants pour les mettre en œuvre dans notre vie quotidienne.

Lorsque nous allons bien, nous sommes capables d’être attentifs aux petits signaux émotionnels, tout au fond de nous, qui régulent nos impulsions agressives. Si nous ne sommes pas profondément déséquilibrés par nos souffrances, nos émotions savent très bien nous avertir que nous sommes en train de mal faire. Elles nous le signalent avant, et pendant l’action.

Il n’y a pas de mode d’emploi pour bien agir. Toujours, nous sommes conviés à descendre, à oser rejoindre le fin fond de nous-même, pour écouter notre boussole intérieure. Pour cela, la clarté et la paix sont indispensables, afin de cultiver le recul et le discernement. Ascèse, et méditation…

La morale ressemble au départ, ou vue de l’extérieur, à un ensemble de contraintes ; mais ces contraintes doivent être librement choisies, et pas seulement imposées. Elles ouvrent un espace de liberté plus grand que celui offert par l’absence de règles morales. Des travaux ont montré que les sociétés matérialistes, les sociétés de consommation, dans lesquelles il est « interdit d’interdire », induisent davantage d’anxiété et d’égoïsme, qui sont deux formes de perte de liberté. Et à l’inverse, comme l’écrit Rousseau : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. »

Pour résumer :

examinons sincèrement notre motivation : « Suis-je sur le point d’agir de manière entièrement égoïste, ou en prenant le sort des autres en considération ? Ai-je à l’esprit quelques individus, ou le plus grand nombre ? A court ou à long terme ? »,

exerçons notre discernement,

fondons notre éthique sur une bienveillance inconditionnelle, puis considérons avec réalisme comment nous pouvons combiner cette vision avec nos capacités d’action, l’énergie et le temps dont nous disposons, et nos propres aspirations à être heureux.

La bienveillance inconditionnelle

La bienveillance commence par la présence à l’autre, par l’attention prêtée à qui nous avons en face, et non par la projection sur l’autre de nos propres besoins, de notre propre vision du monde. Il s’agit également de ne pas tomber dans une attitude paternaliste ou intrusive, mais au contraire de faire preuve de délicatesse, d’être là, simplement, ouvert et disponible, de se donner entièrement, sans attendre de retour. Cette attitude n’a rien de mièvre, de fleur bleue. Au contraire, cette approche inédite exige une lucidité et un sacré courage : savoir que la vie est tragique, qu’elle s’accompagne d’un paquet de solitude, de souffrances, d’injustices, et qu’elle se termine par la mort, sans se laisser décourager ni aigrir. La réponse à ce tragique culmine assurément dans la solidarité, loin de l’indifférence, du repli et de la méfiance.

Certaines personnes, de manière naturelle, réconfortent, aident et dispensent de la bienveillance autour d’elles, chaque jour, à petites doses, de manière discrète, souvent même sans en parler, tant cela leur paraît normal, tant cela fait partie de leur manière d’être, de leur vision du monde.  Saisissant contraste avec ces chroniqueurs télé, véritables snipers payés pour dézinguer leurs invités. Ces émissions n’ont rien d’anodin, et sous prétexte de faire rire ou de provoquer un pseudo-débat, elles stimulent nos plus mauvais côtés. Elles nous exercent à ne voir que les faiblesses et les défauts des êtres humains, nous confortant ainsi dans notre sentiment de supériorité, ou au moins notre non-infériorité.

En effet, pour la plupart d’entre nous il n’est pas toujours facile de ressentir et d’exprimer de la bienveillance au-delà du petit cercle de nos proches, notamment à l’égard des inconnus, et d’autant moins s’il s’agit de personnes différentes de nous par leur comportement, leur philosophie de vie, leur culture. C’est pourquoi il est nécessaire de l’entretenir au quotidien.

La bienveillance n’est pas une récompense. Tous les humains la méritent, même ceux qui sont différents de nous, même ceux que nous jugeons malfaisants ; la bienveillance ne peut qu’éveiller ou réveiller leur humanité. Dans certains cas, elle peut s’exprimer par la fermeté ; face à une personne qui nous agresse, il ne s’agit pas de sourire benoitement, mais de rester calme et bienveillant intérieurement, tout en étant ferme avec lui, sans animosité, afin de ne pas contribuer à l’escalade de l’agressivité.

Par contre, personne n’est censé accepter l’inacceptable, et la tolérance ne doit pas engendrer une attitude permissive au regard de l’injustice, de la discrimination, de la violence. Respectons les valeurs qui nous animent, pour le bien du plus grand nombre, et tentons de les exprimer de la façon la plus claire et la plus paisible possible, en restant ancré dans une sincère bienveillance inconditionnelle.

Une des moissons de la liberté intérieure, est de pouvoir maintenir une certaine lucidité à tout moment, d’avoir un esprit spacieux, qui accueille avec aisance toutes sortes de circonstances, favorables ou adverses, sans en être indisposé, sans nous laisser emporter par les flots troubles de la confusion mentale. Cette liberté permet de surcroît d’avoir un jugement fiable sur les meilleures réponses à apporter aux situations conflictuelles.

De notre mieux, saupoudrons nos journées et nos rencontres de regards, de gestes, de paroles de bienveillance. Et efforçons-nous d’élargir sans cesse le cercle de notre bienveillance afin d’y inclure le plus grand nombre d’êtres possible.

Et bien sûr, ne nous oublions pas nous-même ! L’autobienveillance consiste à ne pas ajouter une guerre intérieure aux difficultés extérieures. Et à adopter envers soi-même une attitude juste, au sein de laquelle on est à la fois lucide et amical. Elle est ce qui permet de se réparer et de progresser : un cadre exigent et sécurisant, dans lequel on ne craint pas d’échouer ni de décevoir, du moins on ne ressent pas ces craintes de manière obsédante ou paralysante.

Etre bienveillant pour autrui, c’est une façon de l’être pour soi-même. Et réciproquement…

La moisson a-t-elle été bonne ?

Au terme de nos entretiens, il semble que nous sommes d’accord sur le fait que la liberté intérieure ne peut avoir que des conséquences salutaires sur nous-mêmes et sur les autres. Nous sommes des « progressants », des explorateurs enthousiastes en route vers la sagesse, la joie, la liberté intérieure et la plénitude qui nous permet d’apprécier chaque instant qui passe. Nous espérons avoir su montrer aux lectrices et aux lecteurs que ce cheminement est non seulement enrichissant, mais aussi accessible et passionnant.

Le temps est venu de distribuer notre moisson à tous ceux avec lesquels nous partageons cette existence. Puissent ces moissons contribuer à soulager les souffrances du mondes, et à éradiquer à long terme les causes de la souffrance !

Peur ?… moi ?…

M.Christine – 2013

Il y a peur… et peur…

Des peurs passagères ou insignifiantes, jusqu’aux peurs inscrites au plus profond de notre inconscient, peurs pour nous-mêmes ou peurs pour nos proches, la nature des peurs est extrêmement diversifiée.

Peur des araignées, peur de l’obscurité, peur de perdre son emploi ou de manquer d’argent, peur de l’échec, de ne pas être « à la hauteur » au regard de l’image que nous avons de nous-mêmes, peur de perdre le contrôle des événements,…

Nombreuses sont les peurs liées à nos relations avec les autres : on a peur de « se faire avoir », ou bien de perdre sa liberté, d’être trahi, rejeté, peur de ne pas être aimé, reconnu,…

Enfin, chacun connaît les peurs liées à l’existence elle-même : peur de la solitude, de la maladie, de la souffrance, de la mort,… On pourrait allonger cette liste à l’infini…

Qui peut dire qu’il ne connaît pas la peur ?

Chez certaines personnes, elle sera peut-être à l’état latent, jusqu’à ce qu’une situation particulière vienne la révéler…

La richesse du vocabulaire de la peur atteste des différentes formes qu’elle peut prendre : doute, inquiétude, crainte, frayeur, trouille, frousse, panique, anxiété, angoisse, terreur, etc. Certains mots illustrent des peurs très spécifiques : trac, vertige, claustrophobie et autres phobies de toutes sortes,…

On peut distinguer la peur instinctive et la peur « psychologique ».

La peur instinctive est celle qu’on éprouve face à un danger : elle peut décupler notre énergie vitale, et nous permettre de crier ou de fuir ! C’est l’instinct de survie, que les animaux connaissent aussi. Cette peur-là est salutaire, bien sûr !

Et puis il y a les autres sortes de peurs, celles qui ne sont pas toujours justifiées. Elles sont liées à la mémoire de souffrances anciennes ; certaines sont inscrites dans nos cellules depuis de nombreuses générations… D’autres sont liées aux histoires que nous nous racontons en imaginant de futures souffrances…

Bien souvent alimentées par nos émotions et nos pensées, celles-ci nous empoisonnent la vie inutilement…

Une peur est le fruit de deux ingrédients : nous avons peur lorsque, d’une part, nous nous sentons menacé, et de l’autre, nous éprouvons un sentiment d’incapacité à faire face à cette menace. La plupart du temps, nous essayons d’agir sur la menace elle-même, en prenant des précautions multiples, des mesures de sécurité diverses (verrous, contrats d’assurances, évitement de certaines situations, etc.). Mais peut-être pourrions-nous également nous interroger sur l’autre facette, l’autre entrée de la peur : quelle représentation avons-nous de la menace supposée ? Quel est notre positionnement face à celle-ci ?

Cet exposé concerne les peurs « psychologiques », et la façon dont nous pouvons les aborder.

Les effets de la peur

Comment la peur se manifeste-t-elle en nous ? Quels sont ses effets sur notre corps physique ? Sur notre fonctionnement mental et notre développement spirituel ?

Les manifestations de la peur sur le plan physique, variées selon les individus, peuvent quelquefois être spectaculaires : voix étranglée, souffle coupé, sueurs, frissons, accélération du rythme cardiaque, pâleur, tremblements,… Mais les effets peuvent aussi être beaucoup plus sournois et passer longtemps inaperçus : tensions diverses (notamment au niveau du plexus solaire), perte de vitalité, etc., conséquences qui ne se manifesteront qu’à moyen ou long terme.

Chacun a remarqué combien la peur, bien souvent, peut entraver notre capacité d’action. De même sur le plan intellectuel, nos facultés de réflexion, de discernement, d’adaptation, peuvent être largement ou totalement annihilées, entraînant des comportements tout à fait inadaptés à la situation.

Il faut souligner le rôle extrêmement néfaste que peut jouer l’imagination dans ce contexte-là. Par exemple, si l’on m’apprend que je suis atteint d’une maladie grave,… en quelques secondes vont défiler dans ma tête toutes les images d’un scénario quant à l’évolution de la maladie, ses diverses conséquences sur ma vie, sur mon environnement, etc… Ce scénario sera ensuite répété, rejoué de multiples fois dans mes pensées ; il sera modifié, « enrichi » par les réactions des personnes auxquelles j’apprendrai « la nouvelle », ou par les informations que je trouverai sur la maladie en question. A partir d’une seule phrase prononcée, le mental va produire une infinité d’hypothèses ou de soi-disant certitudes.

Chaque fois que notre mental saisit fortement une idée ; il s’en empare à travers une certaine compréhension, limitée, déformée par des conditionnements très profondément ancrés en nous, et par nos préjugés. Mais lorsque ce processus est alimenté par la peur, il peut s’avérer réellement destructeur…

De plus, dans le cas d’une situation anxiogène qui se répète, la peur sera démultipliée par… la « peur d’avoir peur »…

La peur est donc un véritable obstacle dans le développement spirituel. Elle nous affaiblit et limite notre champ de conscience. Elle nous empêche d’être pleinement présent à ce que nous vivons, et d’accéder à une compréhension éclairée du monde, et de notre relation à celui-ci. Nous n’ouvrons pas notre cœur à l’amour qui nous est donné, ni à celui que nous pourrions donner.

Le maître Djwal Khul nous dit :

« La peur domine beaucoup de situations et jette souvent son ombre sur les moments heureux de la vie. La peur réduit l’homme à un atome de vie sensible, timide et épouvanté devant l’énormité des problèmes de l’existence, conscient de son insuffisance à faire face à toutes les situations, incapable de transcender ses angoisses et ses doutes, pour entrer en possession de son héritage de liberté et de vie.»

Les conséquences indirectes

La peur est à l’origine de nombreuses émotions. Elle peut entraîner :

– la colère (lorsqu’on a peur de ne pas obtenir satisfaction, de ne pas être entendu, ou de ne pas être respecté, etc.) ;

– l’envie, l’avidité, la cupidité, la jalousie (peur de « manquer », peur de pas être aimé, souvent liées à un sentiment de solitude, de vide existentiel…) ;

– la culpabilité (peur d’avoir blessé quelqu’un, de ne pas avoir été « à la hauteur ») ;

– etc.

Quelles que soient leurs manifestations, mes peurs ont bien évidemment des conséquences sur les autres. En particulier si je suis dans une attitude de repli, de méfiance, celui qui est face à moi aura une réponse du même type ; consciemment ou non, il se mettra à son tour dans une posture défensive, ce qui augmentera alors ma propre peur, et c’est ainsi que nous entrerons dans la spirale de l’agressivité, voire de la violence.

La compréhension de ces mécanismes psychologiques est intéressante pour mieux nous connaître nous-mêmes, mais aussi pour porter un regard différent sur les autres, nous souvenir que, derrière leurs attitudes hostiles ou désagréables, se trouve toujours une peur ou une souffrance.

Enfin, on sait combien les émotions sont communicatives. La peur, sans doute plus encore que les autres, se transmet facilement à l’environnement proche.

Lorsque je suis habité par la peur, même si je n’en parle pas ou s’il n’y a pas de manifestations apparentes, la personne qui est face à moi va la ressentir, la pressentir de façon plus ou moins confuse.

En fait, ma peur va révéler, entrer en résonance avec sa propre peur, quelle qu’elle soit, puisque la peur est présente en chaque être humain, qu’il en ait conscience ou non. C’est pourquoi, plus la personne est en paix avec elle-même, moins elle sera vulnérable à mes émotions.

Selon le même processus, chacun est plus ou moins affecté par « l’atmosphère » ambiante de son environnement et de son époque. Les informations véhiculées par les médias ont tendance à stimuler nos peurs, et comme nous sommes immergés dans une sorte de « mirage » collectif, il nous est très difficile de nous en rendre compte. En prendre conscience est pourtant le préalable pour se soustraire à son emprise.

Ces différents prolongements de la peur se vérifient aussi bien sur un individu, que sur un groupe, qu’il s’agisse d’un groupe familial, associatif, religieux, etc. ou même d’une nation. Par exemple, tous les états souhaitent devenir plus puissants que leurs voisins, ils investissent des sommes gigantesques dans l’armement, ce qui provoque une surenchère chez lesdits voisins, et ainsi de suite… Et on retrouve l’escalade de la peur et ses conséquences en chaîne.

Les causes de la peur

Au fil de l’évolution, les peurs de l’être humain ont changé de nature. Liées à sa survie physique, du temps de Cro-Magnon, elles sont à notre époque de plus en plus émotionnelles et mentales, en corrélation avec son niveau de développement. L’homme primitif avait peur de la nuit, du feu, de l’orage,… parce qu’il ignorait les lois qui gouvernent la nature. De nos jours, de la même façon, la peur naît d’une compréhension erronée, d’une compréhension parcellaire de la Vie.

L’époque actuelle permet à chacun l’accès à une multitude d’informations en provenance de toute la planète. De même, l’avancée extraordinaire des savoirs scientifiques offre une représentation toujours plus précise des phénomènes. L’être humain a une connaissance et une maîtrise de la nature jamais égalée jusque-là. Et pourtant, le mystère de la Vie reste toujours aussi profond.

Alors qu’il revendique toujours plus fort son désir d’autonomie, de « liberté », l’être humain se ressent comme un être séparé, isolé, vulnérable.

Ces sentiments d’impuissance et d’isolement donnent lieu aux peurs fondamentales, sources de toutes les autres, et communes à toute l’humanité :

  • la peur de la séparation, de la solitude ; peur de ne pas être aimé, reconnu, peur de l’opinion des autres, particulièrement cruciale dans nos sociétés qui ne reconnaissent que ceux qui ont « fait leurs preuves » (et quelles preuves !… performance, dynamisme infaillible, réussite professionnelle, statut social,… alors que chaque existence humaine est en elle-même un précieux cadeau au Vivant…)
  • la peur de l’avenir, de l’inconnu (cette peur de perdre ce que l’on a, de quitter ce que l’on connaît, même si ce sont des « chaînes » !) ;
  • la peur de la mort (accentuée, de nos jours, par la croyance qu’il n’y a rien après la mort, que seul existe dans ce monde ce que nos yeux peuvent voir) ;

La peur de la douleur physique est également présente chez l’homme dans toutes les civilisations. Elle s’explique par la mémoire des expériences passées, mais il semble qu’à notre époque elle soit exacerbée par l’importance accordée à l’individu, à son corps, à son égo, à son petit « moi je ».

L’humain a développé son individualité, étape indispensable sur le chemin de l’évolution, mais maintenant il doit continuer à élargir sa conscience, pour s’ouvrir à toute la communauté humaine et à l’ensemble du vivant dont il n’est qu’une cellule. Ses peurs perdront alors en intensité, faisant place peu à peu à un sentiment d’unité, de plénitude.

Quelques pistes pour dépasser la peur

Pour dépasser ses peurs, il faut le souhaiter sincèrement, en avoir compris la nécessité, afin d’accepter de les regarder en face.

La première étape consiste à les identifier. Certaines peurs nous sont très familières, quelques-unes sont plus subtiles ou se manifestent plus rarement. Il arrive quelquefois qu’une peur se cache derrière un sentiment « généreux ». Par exemple : je suis profondément touchée par le deuil récent de ma collègue, par empathie, c’est vrai, mais aussi parce que je m’identifie un peu à elle, je me dis qu’il pourrait m’arriver la même chose, et cela réveille en moi une peur inavouée.

A l’inverse, il faut veiller à ne pas considérer comme une peur, ce qu’on pourrait appeler « la petite voix de la conscience », qui nous demande d’écouter nos aspirations profondes, d’écouter notre intuition ; cette petite voix porte peut-être un sain jugement, même si elle va à l’encontre des opinions communes. Par exemple, je m’apprête à faire des études dans le domaine du sport ; tout le monde me dit que j’en ai les capacités et que cette orientation présente de nombreux avantages. Mais à l’approche de mon entrée en formation, je me sens perturbée, anxieuse. Est-ce la peur d’échouer ? Ou plutôt un doute sur ce choix professionnel qui ne correspond peut-être pas à mes valeurs ou à mes souhaits intimes ?

Certaines peurs sont insidieuses et peuvent nous ronger de l’intérieur sans même que nous en ayons conscience. Ces types de peur sont généralement en relation avec nos idéaux, nos incohérences internes, nos doutes, nos questionnements sur le sens de la vie. Mais avant de dévoiler celles-ci, peut-être pouvons-nous commencer par travailler sur des peurs plus accessibles.

La méthode est la même que pour toute émotion : observer, comprendre, expérimenter,…  si possible en état de relaxation profonde. En effet, en « état modifié de conscience », le mental est beaucoup plus sensible à tout ce qu’il perçoit et aux intentions qui sont formulées.

A distance de l’émotion, dans un moment d’apaisement, voici à titre indicatif le genre de questions qui pourraient nous éclairer (sans chercher à analyser de façon rationnelle, cartésienne, ce qui nous ramènerait dans un état de conscience ordinaire). Donc, en restant le plus détendu possible, laissons surgir les questionnements et les réponses qui se présenteront spontanément :

– Dans quelles circonstances cette peur est-elle apparue ? (en présence de quelle personne ? sinon, quelle pensée l’a déclenchée ? en quel lieu ? pendant quelle activité ? dans quel état d’esprit étais-je juste avant ? ou d’une façon plus large, durant la période qui a précédé ? etc.)

– Comment cette peur s’est-elle manifestée en moi ?

– A quel moment peut-on dire qu’elle s’est dissipée ? Etait-ce de façon progressive ? Qu’est-ce qui a permis de l’atténuer ou de la faire disparaître ? Est-ce que j’en eu conscience ? Est-ce qu’il me suffit d’y penser pour qu’elle revienne ?

– Qu’est-ce que cela a touché de si profond, en moi ?

– Puis-je essayer de visualiser cette situation ou une situation identique, en imaginant que je ne serais plus victime de cet ouragan émotionnel, mais que, au contraire, je vivrais ce moment de façon plus paisible ?

Peut-être, certaines de mes réponses mettront-elles en lumière le fait que cette peur est totalement injustifiée ? Ou bien, à quel point ses conséquences sont désastreuses, destructrices pour moi-même et/ou pour les autres ? Ou encore, le temps « perdu », l’énergie dépensée d’une façon inutile, négative ?

Si ce travail est fait régulièrement et avec sincérité, ces réflexions nous reviendront, à l’approche d’une crise, nous permettant de prendre, du même coup, un certain recul par rapport à la situation. En effet il est essentiel de déceler une peur dès son apparition. Essayons de la « désamorcer » au plus vite, avant qu’elle ne prenne le dessus.

Attention,ne cherchons pas à la chasser, ce qui contribuerait à la nourrir. Plus nous lui donnons de l’importance, plus elle augmente en force. Alors simplement, constatons qu’elle est là, regardons-la avec tranquillité et bienveillance. Avec un peu d’humour, nous pouvons même lui serrer la main, histoire de nous dés-identifier totalement de cette émotion. « Elle est présente dans mon esprit, c’est vrai, mais mon esprit est beaucoup plus vaste que cela. »

Mais peut-être que tout s’est passé trop vite, et que nous sommes déjà sous sa domination. Dès que nous en prenons conscience, nous pouvons porter notre attention sur notre respiration, essayer de l’apaiser, essayer de détendre notre corps, de desserrer nos mâchoires, notre nuque,… Enfin, pour trouver un apaisement plus durable, si le contexte le permet, nous pouvons lire un texte qui nous inspire, qui oriente nos pensées vers une idée plus belle, plus vaste, qui nous aidera à sortir de notre attitude centrée sur nous-mêmes.

Lorsque nous devons affronter une situation « à risques », un obstacle ou une menace « objective », nous devons nous y préparer à l’avance, en réfléchissant à l’attitude qui paraît être la plus souhaitable pour les autres et pour nous-mêmes, sur le long terme. Puis, le moment venu, abordons les choses avec la plus grande détente, la plus grande confiance possible, sachant que nous faisons de notre mieux. L’entourage concerné y sera sensible, et donnera des réponses plus apaisées, plus lucides, plus humaines.

Pour terminer,

rappelons que de nos jours sont enseignées des connaissances de plus en plus complexes, dans les domaines de la biologie, de l’environnement, de la technologie, etc., tandis que le champ de la psychologie et celui de la spiritualité restent encore le domaine de quelques spécialistes, ou de quelques personnes particulièrement motivées.

Pourtant, une meilleure compréhension de l’esprit humain ainsi que de nos propres fonctionnements nous épargneraient tellement de souffrances…

Concernant nos peurs, si nous sommes convaincus de leurs effets néfastes, acceptons de les reconnaître, de les observer, d’en analyser les mécanismes, avec cette intention de les apprivoiser, de les accompagner, avec patience et bienveillance.

Ensuite, c’est une question de temps. Soyons confiant dans le fait qu’elles perdront peu à peu de leur force, libérant l’amour qui est en nous, et le potentiel de vie qui nous habite.

Nous offrirons à notre entourage le meilleur de nous-mêmes, et laisserons une empreinte un peu plus positive dans le cheminement de la famille humaine.

Feuille de route

M.Christine – 2011

Occident, XXIième siècle… Petit humain égaré face à une multitude de sollicitations dans tous les domaines de la vie, balloté en tous sens comme une feuille morte dans les caprices du vent…

Mais il existe une autre manière d’être au monde, qui consiste à rester ouvert sur l’extérieur, tout en écoutant notre voix intérieure, celle qui chuchote des profondeurs, et nous appelle à déployer pleinement le potentiel de Vie qui nous habite…

Cette voix silencieuse nous invite à reconnaître puis à intérioriser une vision claire de notre place dans ce monde des humains, et d’une façon plus large dans le monde du vivant.

Nous sommes une cellule de cet ensemble, nourrie par cet ensemble, et dont le bonheur dépend de cet ensemble.

De même que, pour rester en bonne santé notre corps physique doit se plier à certaines règles d’hygiène (alternance activité/repos, alimentation saine et équilibrée, etc.), de même en tant que conscience humaine il nous faut écouter et respecter les lois du cosmos, que toutes les traditions ont perçues, révélées et révérées, chacune à sa manière. C’est ce que l’on appelle les secrets de la Sagesse universelle.

Les propositions suivantes sont des points de repère pour avancer vers cette Sagesse qui conduit au bonheur individuel et collectif.

Chacun peut observer le monde à la lueur de ces principes, sans à priori négatif ni positif, comme un chercheur pose une hypothèse puis conduit ses travaux pour tenter de la vérifier.

Chacun peut les laisser mûrir dans son cœur et les laisser infuser sa vie quotidienne, afin d’éprouver par lui-même leur véracité.

                                                           Feuille de route

  • Développons le contentement 
  • Accueillons les choses telles qu’elles se présentent, même quand elles ne sont pas telles qu’on les aurait souhaitées.
  • Cessons de vivre dans l’attente d’un futur ou d’un ailleurs, supposé être mieux que ce que l’on vit ici et maintenant ; apprécions l’instant qui est là, tel qu’il est. Faisons de chaque instant un moment de fête.
  • Ne nous comparons pas à autrui : chacun a son champ d’expérience, son chemin, sa valeur, unique et précieuse.
  • Rappelons-nous que l’attachement conduit à la souffrance : attachement aux objets matériels, aux personnes que l’on apprécie, à nos convictions, à nos idées… car rien n’est permanent ; tout est énergie en mouvement, tout se transforme, tout évolue. Apprenons à rester dans le flux de la vie, sans figer les choses ; apprenons à aimer, à donner, sans peurs et sans attentes.
  • Développons la générosité, la compréhension aimante 
  • Conscient de nos imperfections, nous pouvons accepter celles des autres.
  • Ne confondons pas la personne avec ses actes que nous condamnons peut-être ; la personne mérite notre respect et notre compassion. Quand une personne manifeste de la colère, de la jalousie, ou de l’agressivité, c’est parce qu’elle n’est pas en paix avec elle-même ; consciemment ou inconsciemment, elle se protège, elle a peur. La compréhension de ce processus nous aide à sortir du statut de « victime ». Tous les humains aspirent au bonheur, mais bien souvent ils ne savent comment s’y prendre…
  • Pensons à tous ceux qui n’ont pas, ou qui n’ont pas eu ce que nous avons la chance d’avoir (sur le plan matériel, affectif, mais aussi nos qualités, nos capacités intellectuelles, notre environnement culturel, etc.)
  • Développons la confiance et la patience 
  • L’inquiétude, le souci, l’anxiété, toutes ces formes de peur mènent à la souffrance, elles entraînent presque toujours des conséquences néfastes, diminuant notre vitalité et notre capacité d’action.
  • Pratiquons la patience avec nous-même : nous ne sommes pas parfaits, mais si nous avons l’intention de faire de notre mieux, nous progresserons petit à petit ; nous sommes « en chemin ».
  • Pratiquons la relaxation, la détente ; apaisons-nous à l’aide de la respiration.
  • Découvrons la joie que procure le fait de donner un sens à sa vie : celui de chercher à progresser, et ainsi de participer à l’évolution de l’humanité vers des valeurs plus élevées.
  • Développons la gratitude envers la Vie qui nous anime !
  • Développons la présence au monde qui nous entoure : les personnes, les animaux, la nourriture, le ciel, tout ce qui est là, tout proche de nous.
  • Soyons à l’écoute de notre être profond, de ce qu’il souhaite manifester ; offrons au monde ce que nous sommes, seulement ce que nous sommes, tout ce que nous sommes…
  • Cultivons la conscience d’être une étincelle éphémère qui participe à ce vaste mystère qu’est la Vie.

Impermanence et fluidité de la Vie

M.Christine – 2014

Durant les 5 minutes qui viennent de s’écouler, des dizaines de perceptions ont été enregistrées par notre cerveau, des dizaines de pensées ont traversé notre esprit. Durant les 5 minutes qui viennent de s’écouler, des millions de personnes se sont déplacées physiquement, dans le pays où nous habitons, des millions de personnes ont échangé des paroles, des SMS ou des méls. Pendant le même temps, la Terre a effectué 8800 kilomètres sur son orbite, et occupe maintenant une nouvelle position, par rapport aux autres planètes de la galaxie … En cet instant précis, depuis le moment où j’ai pris la parole, chaque particule de l’univers a subi de nouvelles transformations…

La Vie est mouvement.

La Vie est communication, information, échange,…

Personne ne peut nier que tous les êtres vivants naissent, se développent et meurent, ou plutôt se transforment.

Dans la limite des connaissances actuelles, on peut vérifier cette vérité  à toutes les échelles de temps et d’espace : modèles galactiques mais aussi atomiques, évolution géologique de la Terre, phénomènes divers,…

Cette flaque d’eau, à mes pieds, se sera bientôt évaporée, participant à la formation de quelques nuages ; nuages qui disparaîtront, transformés en pluie ; celle-ci se retrouvera, sous des aspects extrêmement variés : dans les cours d’eau, les nappes phréatiques, dans la composition des végétaux, puis dans nos circuits sanitaires, notre alimentation, et ainsi de suite… 

On sait que les objets matériels, eux aussi, s’usent et se dégradent avec le temps ; les minuscules particules qui s’en sont détachées se retrouvent en suspension dans l’atmosphère, ou agrégées en poussières…

Mais on oublie bien souvent que cette réalité, même si elle semble évidente au premier abord, est pourtant rarement perçue dans ses aspects les plus subtils. Les enseignements bouddhistes ont souligné combien il est essentiel de prendre conscience de cette loi inéluctable, afin d’atténuer toutes les souffrances qui lui sont liées dans la conduite de notre vie personnelle.

La notion d’impermanence ne concerne pas seulement l’aspect physique des choses. Elle concerne également tous les phénomènes tels que les idées, les conceptions politiques, la forme des mouvements philosophiques, religieux, les échanges économiques, les connaissances scientifiques, etc.…

Qu’en est-il pour l’être humain ? 

Est-ce qu’aujourd’hui, à 55 ans, je suis vraiment le même personnage que lorsque j’avais 20 ans ?

Mon visage n’est plus tout à fait identique, mon corps physique s’est transformé, je ne ressens pas les choses de la même façon, ma compréhension du monde a beaucoup évolué,… L’ensemble de ma personnalité s’est modifiée, dans une certaine continuité, bien sûr… A chaque instant, j’ai la possibilité d’orienter ma vie dans différentes directions…

Sur le plan physique, nos cellules sont renouvelées en permanence, mais les transformations ne deviennent visibles que sur quelques mois ou quelques années. Au niveau de l’état d’esprit, des variations émotionnelles et mentales sont perceptibles très rapidement, mais elles aussi ne façonnent véritablement la personnalité que sur le long terme.

Pourtant, comme le dit Albert Jacquard1 : « … pris dans la tenaille dont les deux mâchoires sont le passé et l’avenir, le présent n’a aucune réalité. Certaines langues refusent de conjuguer le verbe « être » au présent ; il y a du sens à dire « je serai » ou « j’étais » ; il n’y en a pas à dire « je suis ». 

A chaque inspiration, l’air et les énergies cosmiques me pénètrent et viennent nourrir mes cellules et les niveaux plus subtils de mon être.

A chaque expiration, je donne un peu de moi-même et participe ainsi à la danse des étoiles.

A chaque seconde, je meurs à moi-même et je renais en même temps, ni tout à fait différent, ni totalement identique…

A chaque seconde, l’Univers est une œuvre inédite, tout comme les rosaces d’un kaléidoscope qui jamais deux fois ne sont semblables.

Rien n’existe dans l’univers, qui ne soit soumis aux lois de l’impermanence et de la transformation, de l’échange et de l’interdépendance.

Souvent source de souffrance…

Aujourd’hui je suis en bonne santé, demain, je serai peut-être malade,…

Aujourd’hui il m’aime, mais demain ?… 

L’époque actuelle nous soumet chaque jour à cette réalité de l’impermanence : emplois instables, précaires, relations fluctuantes, y compris dans le cadre familial. Nous vivons dans une incertitude constante, tel un oiseau sur la branche.

La plupart du temps, nous n’acceptons pas cette évidence, cette réalité indiscutable.

Nous avons la nostalgie du passé, de notre jeunesse, des moments que nous avons vécus avec certaines personnes,… Nous nous accrochons à l’espoir ou à la certitude que nous pourrons reproduire les situations que nous avons trouvées plaisantes, alors qu’en réalité, il est impossible de vivre deux fois la même expérience. Cette croyance nous empêche de vivre pleinement la richesse de l’instant présent. Elle entraîne souvent des déceptions, de l’amertume. Lorsqu’il s’agit de choses que nous avons trouvées désagréables, le processus est le même : nous abordons toute situation ressemblante avec un préjugé négatif, une appréhension, voire une peur. Là encore, par cette compréhension erronée, nous nous privons de nos capacités créatives, de la possibilité d’explorer un nouveau mode d’être ou un nouveau mode de relation.

Nous refusons le changement, les petits « deuils » du quotidien, par peur de perdre ce que nous connaissons. On sait que chaque génération a tendance à penser que son époque « était dans le vrai », qu’il s’agisse des savoir-faire professionnels, de l’éducation des enfants, des valeurs de la société, etc.).  Nous refusons la mort, la nôtre, celle de nos proches, nous refusons l’idée de la mort.

Cela peut engendrer un état d’angoisse terrible, que cette angoisse soit consciente ou non, présente en toile de fond de toutes nos pensées et nos actions.

… Ou alors, source de libération, de joie, de plénitude

Si nous arrivons à faire émerger consciemment cette résistance au changement, si nous avons le courage de regarder en face ce sentiment d’insécurité, nous pouvons apprendre à vivre dans l’instant présent, et à l’apprécier tel qu’il est.

Regarder en face cette vérité, accepter que les choses changent, sans regret, sans amertume ; sans cultiver la nostalgie.

Apprendre  à vivre avec souplesse, fluidité, en cohérence avec cette loi universelle de mouvement perpétuel, en harmonie avec soi-même, avec les autres, avec le monde, et découvrir la libération que cela procure.

Danser avec les évènements, tout en embrassant le ciel…

Dans les situations désagréables ou douloureuses, on peut s’appuyer consciemment sur la compréhension de l’impermanence, pour souffrir un peu moins, se souvenir que cet état est passager, que la souffrance s’atténuera,…

Acceptons de nous laisser traverser par le flux de la Vie, sans chercher à le repousser ni à le retenir. Aimons ce qui advient, et nous trouverons toujours la force de surmonter les obstacles et les épreuves. Cultivons la confiance en la Vie, entraînons-nous à accepter l’imprévu, à nous y adapter, à comprendre que toute expérience est un enseignement qui développera un peu plus notre humanité.

Dans son « Petit traité de vie intérieure », Frédéric Lenoir2 écrit :

« Admettons qu’il nous est impossible d’exercer une maîtrise totale sur notre vie : les failles par lesquelles l’impromptu surgit sont imprévisibles. En voulant à tout prix contrôler cette part d’impondérable, nous nous condamnons à vivre dans l’angoisse permanente. Nous ne pouvons pas non plus contrôler autrui : nous devons accepter qu’il nous échappe toujours, y compris quand il s’agit de son conjoint ou de son enfant. […] Nous ne pouvons pas davantage contrôler totalement notre vie professionnelle soumise à tant d’aléas externes, ni nous obstiner à vivre dans l’illusion de stabilité et de sécurité.

Alors, faisons de notre mieux pour  maîtriser ce qui peut l’être, à commencer par nos désirs et nos passions.

[…] Le seul fait d’acquiescer à la vie et à l’être, procure un sentiment de gratitude qui est lui-même source de bonheur, qui permet de profiter pleinement du positif et de transformer le négatif autant que faire se peut. Dire « oui » est une attitude intérieure qui nous ouvre au mouvement de la vie, à ses imprévus, ses inattendus et ses surprises. C’est une sorte de respiration qui nous permet d’accompagner intérieurement la fluidité de l’existence. Accepter les balancements des joies et des peines, des bonheurs et des malheurs, accepter la vie telle qu’elle est, avec ses contrastes et ses difficultés, son imprévisibilité. Bien des souffrances viennent de la négation de ce qui est, ou de la résistance au changement. 

 […] Cette foi-confiance dans la vie se manifeste par une attitude que l’on retrouve sous divers noms dans les sagesses et les grands courants spirituels de l’humanité : l’abandon, la quiétude, le lâcher-prise. […] les stoïciens appelaient l’apatheia, la tranquillité intérieure, l’absence de toute agitation intérieure. »

Il est facile de comprendre cela intellectuellement, mais très difficile de le mettre en œuvre. Il faut y réfléchir souvent, s’habituer à regarder le monde qui nous entoure avec cette nouvelle compréhension, s’entraîner à l’appliquer d’abord à de petites contrariétés, puis à de plus importantes ; il faut du temps, de toutes façons, pour aller à l’encontre d’un fonctionnement spontané qui nous porte à s’accrocher à ce que l’on trouve agréable, et à rejeter ce qui nous déplait.

Le chemin est long, les résistances sont nombreuses, mais on peut progresser sur cette voie.

Notre ultime difficulté concerne bien sûr la mort.

Ce que nous appelons la mort, est toujours une transformation,

le passage d’une forme à une autre, d’un état à un autre. Comme la flaque d’eau a disparu, pour laisser la place à un nuage.

Comme la chenille accepte de mourir à elle-même pour devenir papillon.

Comme le grain de blé renonce à lui-même pour donner vie à un épi qui portera 100 grains de blé.

Comme l’arbre donne sa vie pour fournir le bois de nos meubles ou la chaleur de nos maisons.

Certes, la mort est une transformation plus brusque, plus radicale que les micro-modifications qui se produisent en continu, de façon progressive. Mais elle en est le fruit, et elle est nécessaire pour permettre un réel renouvellement, une véritable évolution. Ce « recyclage » perpétuel est le fondement même de la Vie.

Pour l’être humain, la mort se manifeste par la désintégration du corps physique, dont les matériaux retourneront à la nature pour alimenter d’autres êtres vivants, tandis que, selon la compréhension ou la croyance de chacun, la conscience poursuit son cheminement vers la Connaissance et la Sagesse, ou bien se désintègre elle aussi, pour aller nourrir de son énergie subtile la conscience collective, « l’âme du monde »…

A l’approche de notre propre mort, plus nous acquiescerons, et plus la transition se fera de façon naturelle. Les plus grandes souffrances viennent toujours de nos résistances.

De même, au départ de nos proches, plus nous aurons une conscience claire du travail spirituel qui s’opère sous nos yeux, mieux nous serons à même de les accompagner dans ce processus. Et la séparation nous sera peut-être un peu moins douloureuse…

La loi d’impermanence est intimement liée à celle d’interdépendance ; ce sont deux lois universelles fondamentales.

Les disciplines scientifiques qui s’intéressent au vivant connaissent bien le concept d’interdépendance ; chaque écosystème en est une illustration, et les différents écosystèmes entretiennent eux-mêmes des échanges permanents entre eux. Une fleur se nourrit de lumière, d’oxygène, de gaz carbonique, d’eau, et de tous les minéraux contenus dans le sol. Elle a également besoin des insectes pour se reproduire. En l’absence d’un de ces éléments, la fleur n’existe pas, ou n’existera plus.

L’être humain, lui aussi, doit sa vie à l’amour qui a uni deux personnes, mais aussi à l’air, à l’eau, à une alimentation variée (d’origine végétale et éventuellement animale), ainsi qu’à tous les échanges qu’il aura au cours de son passage sur terre, sur les plans émotionnel, mental, et spirituel… Nous recevons beaucoup de notre environnement, que ce soit par des contacts directs, par les multiples sources médiatiques, ou par des canaux d’énergie plus subtils.

Et réciproquement, à tous ceux qui entrent en contact avec nous, nous donnons, nous communiquons : notre  patience ou notre impatience, notre courage, nos doutes, nos joies, tous nos états émotionnels, nos opinions, nos réflexions, nos interrogations,… Paroles, mais aussi échanges non verbaux, regards, attitudes, rayonnement magnétique, etc.

En développant notre conscience intérieure de l’impermanence et de l’interdépendance, peu à peu, au fil du temps, notre façon d’appréhender le monde se modifie profondément.

Nous sommes moins dépendants de nos conditionnements, de nos préjugés, de nos attachements. L’orgueil perd de sa consistance, les tendances individualistes et égocentrées s’atténuent, la perception des autres et l’analyse des évènements deviennent beaucoup moins dualistes, beaucoup plus nuancées, donc plus tolérantes et empreintes d’empathie. Le sentiment de solitude, ou l’illusion du mérite personnel, s’effacent devant la vision d’un monde qui est Unité, au sein duquel chacun a sa place mais aussi sa part de responsabilité.

Nous ne pouvons pas « maîtriser » les évènements ni les personnes, mais nous pouvons choisir l’orientation que nous voulons donner à notre vie : une idée ou un idéal, qui nous permettra d’accueillir une infinité de possibilités, sans perdre de vue la direction qui semble juste au regard de notre conscience.

Quand nous reconnaîtrons l’interdépendance et l’impermanence dans notre intériorité la plus profonde, quand nous les accepterons pleinement, en toute confiance, nos peurs se dissiperont, comme tous les mirages qui nous embrument et qui nous leurrent.

Accueillant les bonheurs et les épreuves avec la même humilité et la même gratitude envers la Vie qui nous est offerte, nous pourrons faire les choix les plus justes, pour assurer un cheminement personnel fructueux et une contribution positive à l’Histoire de la communauté terrestre.

  1. « Petite philosophie à l’usage des non-philosophes » d’Albert Jacquard 
  2. « Petit traité de vie intérieure » de Frédéric Lenoir

Un sage paysan avait un fils, un cheval et un voisin.
Un jour où le fils était allé au bourg avec le cheval,
le cheval s’égara dans la montagne et le fils revint seul.
– Quel malheur ! dit le voisin.
– Qu’en sais-tu ? dit le paysan.
Et en effet, le lendemain,
le fils, parti à la recherche du cheval perdu,
ne retrouva pas seulement le cheval,
mais rapporta aussi de son expédition
un magnifique étalon sauvage qu’il avait réussi à capturer.
– Quel bonheur ! dit le voisin.
– Qu’en sais-tu ? dit le paysan.
Et en effet, le lendemain, en dressant l’étalon,
le fils reçut une mauvaise ruade qui lui brisa une jambe.
– Quel malheur ! dit le voisin.
– Qu’en sais-tu ? dit le paysan.
Et en effet, le lendemain,
les recruteurs du roi passèrent dans le village
ramasser les jeunes gens pour la guerre.
Le fils, temporairement invalide,
échappa à la conscription.
– Quel bonheur ! dit le voisin.
– Qu’en sais-tu ? dit le paysan.
Et en effet, le lendemain,…
                   
Conte du folklore chinois

la voie de la fraternité

M.Christine2020

Un constat sur l’époque que nous vivons

Nous vivons une époque très particulière – même si toutes les époques sont particulières… – dans le sens où c’est une époque faite de changements sans précédents, qui génèrent de forts sentiments de doutes, d’incertitudes

D’abord, sur le plan individuel : instabilité de la cellule familiale, insécurité professionnelle, financière, vulnérabilité psychologique et sentiment d’impuissance face à la complexité du monde,…      

Et puis, nous avons une certaine impression d’isolement, de solitude ; nous n’avons plus la sensation sécurisante d’appartenir à une communauté, famille ou village, comme c’était le cas autrefois. 

En occident, le contexte culturel renforce notre tendance naturelle à penser que nous sommes une individualité séparée des autres ; cela flatte notre égo et peut s’avérer gratifiant – quelquefois… mais cela a aussi quelques contreparties… Frédéric Lenoir nous explique1 que depuis deux siècles, les rapides progrès en matière de connaissances, d’éducation, de confort matériel, etc. ont permis à l’individu de s’émanciper, d’accéder à une grande liberté individuelle (liberté de choisir son conjoint, son métier, liberté d’expression, etc.). Notre individualité s’est affirmée, les méthodes de développement personnel nous permettent d’exprimer davantage nos potentialités, notre conscience s’est élargie, et cette évolution est une richesse pour nous-même et pour la société. Mais le revers de ce développement est l’individualisme, le chacun pour soi, qui favorise l’anonymat, et la nécessité d’être « meilleur que les autres » pour arriver à trouver sa place dans la collectivité… Ceci est une source de réelle souffrance : nous nous comparons continuellement aux autres (« Suis-je assez beau ? assez intelligent ? etc. »), nos relations sont plus ou moins basées sur des rapports de force, ou de séduction ; nous nous sentons en insécurité affective. Bref, cela engendre un sentiment de solitude existentielle, et nous avons tendance à combler cette sensation de vide de diverses manières (compensations matérielles, dépendances émotionnelles, addictions alimentaires,  addictions à des substances chimiques ou à des comportements divers et variés). 

Au niveau collectif, on assiste à une superposition de crises diverses, sur le plan économique, environnemental, énergétique, politique, social, etc.

Ou peut-être, ces multiples crises ne sont-elles que le reflet d’une crise beaucoup plus profonde, une crise qui se joue dans le cœur de l’être humain ? Toutes ces lois, toutes ces institutions, tous ces échafaudages que nous avons érigés pour nous protéger, nous sécuriser, sont-ils à la hauteur de nos aspirations profondes ? Quel est le sens de la vie ? Est-ce que le long périple de l’humain, depuis l’Homo habilis jusqu’à l’Homo sapiens sapiens, n’avait pour but que de construire un monde où il pourrait amasser de l’argent pour s’offrir des petits plaisirs égoïstes et éphémères… ? 

Soumis à ces différentes tensions, internes et externes, on peut développer différentes attitudes : regretter le passé, s’accrocher au mode de vie qu’on a connu auparavant, se replier sur nos peurs et développer des réflexes de crispations par rapport à tous ces changements qui nous bousculent. On peut aussi, simplement, jouer l’indifférence, et jouir au mieux des plaisirs éphémères que nous offre la société. Mais on peut également choisir une autre voie, choisir de s’adapter aux nouveaux visages du monde, en y intégrant nos valeurs personnelles, en contribuant à notre modeste manière à le rendre un peu plus beau, en cultivant la confiance en la vie. La majorité des personnes oscille de l’une à l’autre de ces attitudes ; c’est normal, car il n’est pas facile de choisir une direction qui va à contre-courant du flot majoritaire ; et même lorsqu’on fait ce choix, il n’est pas facile de maintenir le cap…

Pourtant, les crises ne sont-elles pas toujours des passages, des phases de transformation (pensons à la crise d’adolescence…) ? L’état actuel de confusion que l’on observe dans tous les domaines de la société, ne serait-il pas le signe qu’une  mutation, une transition profonde est en train de s’opérer ? Transition morale, culturelle, spirituelle… Sachant combien les accouchements peuvent être longs et douloureux… notre tâche principale consiste peut-être à rester confiant, et à imaginer, à réfléchir à la civilisation que nous souhaiterions voir fleurir, afin de contribuer de notre mieux à sa gestation.

Chacun de nous, à son niveau, a le pouvoir d’influer sur l’avenir, dans un sens ou dans un autre. Par notre passivité ou notre découragement, nous participons au maintien, sinon à l’aggravation des problèmes. Ou au contraire, nous choisissons de « faire notre part » : en adoptant un mode de vie plus sobre, des comportements plus écologiques, en participant à la diffusion d’idées constructives, etc. Mais surtout, nous pouvons faire le choix de nous engager sur un chemin de changement intérieur : travailler sur nos peurs, sur notre colère, notre avidité, notre égoïsme. Une telle attitude, pratiquée à une vaste échelle, par de nombreuses personnes, pourrait vraiment ouvrir des perspectives totalement neuves, insoupçonnées. C’est la voie que nous allons explorer ici : la voie de la fraternité.

Qu’est-ce que la fraternité ?

Nous éprouvons de l’amour ou de l’amitié pour des personnes que nous connaissons bien, qui nous sont proches : notre compagne ou notre compagnon, nos enfants, nos parents, nos amis,… La fraternité est peut-être moins passionnelle, mais elle est plus vaste. C’est un sentiment d’affinité avec des personnes, même si nous ne les connaissons pas ou peu, le sentiment de partager quelque chose d’essentiel : le fait d’être un humain. Nous sentons combien nous sommes semblables à un certain niveau. Nous pouvons nous identifier à ces personnes, ressentir comme elles, le plaisir, la douleur, la colère, la joie, l’humiliation, la peur d’être abandonné, la peur de souffrir, la peur de mourir,….

Nous avons en commun la faim, la soif, et aussi la soif de connaissances et la soif de bonheur…

La fraternité n’est pas dictée par une obligation morale que l’on s’imposerait, ni par l’attente, consciente ou non, de recevoir en retour une gratification. La fraternité est un élan du cœur, c’est la sensation intime d’être constitué de la même fibre que l’autre, mû par les mêmes désirs, les mêmes peurs, les mêmes aspirations… traversé par le même souffle… Elle est présente chaque fois que nous partageons un moment fort, un moment de complicité avec une ou plusieurs personnes : assister à un coucher de soleil, chanter ensemble, se réunir autour d’un repas convivial, échanger sur un sujet qui nous tient à cœur,…

D’une certaine manière, la fraternité est un état de fait ; les biologistes et les anthropologues nous le disent : nous avons tous la même origine, nous avons les mêmes ancêtres ! A défaut d’être frères et sœurs au sens propre, nous sommes tous « cousins », puisque de la même famille, Homo sapiens sapiens… Et, plus important encore, sous des apparences d’une diversité infinie nous sommes faits de la même substance essentielle, notre « essence » est la même, la conscience qui nous habite, la vie qui nous traverse est Une, quel que soit le nom qu’on lui donne…

Lorsque, dans notre vie individuelle, nous traversons une épreuve, de quoi avons-nous besoin ? Que quelqu’un nous offre une somme d’argent ?  un bijou ? une place de cinéma ? Ou bien d’une écoute attentive, d’un regard bienveillant, d’une présence, d’une parole chaleureuse ?

Ces attitudes, qui peuvent nous être si précieuses, découlent du sentiment de fraternité. Mais à vrai dire, elles ne sont pas toujours faciles à mettre en œuvre… Selon notre vécu, cela peut même s’avérer impossible. On ne peut pas donner aux autres ce que l’on n’a pas soi-même reçu. Pour donner aux autres, il est indispensable de nous réconcilier avec nous-même, d’accueillir nos ombres, nos limites et nos contradictions intérieures. Dans certains cas, les thérapies sont indispensables. Mais la méditation peut aussi nous aider à trouver en nous-mêmes un état plus paisible, et un sentiment d’unité avec tous les êtres. Car ce sens de la fraternité est présent en chaque être humain.

Nous avons tous un potentiel de compassion, mais il est indispensable de le cultiver, d’en prendre soin, de le solliciter chaque jour… pour éviter qu’il ne s’atrophie.

Cela implique de dépasser notre égocentrisme, ou du moins d’élargir un peu, au moins par moments, le petit noyau de nos préoccupations. Changer notre regard sur chaque personne, sur chaque situation (chez le boulanger, ou ailleurs,…). C’est aussi prendre conscience des critiques, des jugements que nous portons en permanence sur les uns et les autres, souvent sans même nous en rendre compte tellement c’est habituel ; c’est ne pas propager des idées qui divisent, qui opposent les uns et les autres.

Certains états d’esprit nourrissent le sentiment de fraternité : la sincérité, la confiance, la générosité,… Etre à l’écoute de l’autre, prendre en compte ses difficultés, avoir du respect pour ses idées, même si elles diffèrent des nôtres. Encore une fois, ce n’est pas facile du tout ! Mais l’essentiel est dans notre intention. C’est un chemin de longue haleine, soyons patients.

Apprenons à donner, donner… sans attente, sans condition. Offrons notre attention, offrons notre temps, notre énergie, à une personne ou à une cause, sans espérer une récompense, sinon celle que procure la joie de donner. On emploie souvent l’expression « donner de sa personne » ; oui, c’est vrai, quelquefois cela peut sembler fatiguant, épuisant ; c’est simplement parce que l’on n’est pas à l’écoute de nos propres limites, on ne les respecte pas. Mais si l’on apporte autant de bienveillance à soi-même qu’aux autres, ces gestes de générosité vont nourrir notre vie intérieure, la vivifier, la déployer…  Offrons ce que l’on est, avec sincérité et humilité.

Et bien qu’il ne faille rien attendre en échange, la plupart du temps, les autres à leur tour feront preuve de bienveillance envers nous, et par contrecoup envers leur entourage également ! L’être humain apprend et fonctionne principalement par mimétisme. L’esprit de fraternité est contagieux !

Bien sûr, dans de nombreuses situations il nous est impossible de ressentir de la fraternité envers telle ou telle personne. La plupart du temps c’est parce qu’on ne la connaît pas suffisamment. On la juge sur les apparences. Nous pouvons essayer de dépasser ces apparences, et voir au-delà, l’être humain qui, la plupart du temps, agit du mieux qu’il peut, en fonction du contexte et de son histoire personnelle. Chacun ne voit et ne comprend qu’une parcelle du monde, écoutons celle des autres, si l’on veut s’approcher toujours davantage de la vérité.

Et lorsqu’un comportement nous semble totalement inacceptable, respectons au moins la règle d’or, ce principe fondamental énoncé dans toutes les traditions du monde : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».

La fraternité à l’échelle d’une société, voire à l’échelle de l’humanité…

Le mot fraternité est inscrit dans la devise de notre nation. Mais peut-on dire que notre société est réellement fondée sur cet idéal ?

De nos jours, l’être humain est capable d’aller sur la lune, de concevoir des ordinateurs extrêmement performants, de manipuler les gènes humains, et de bien d’autres exploits extraordinaires. Mais il n’est pas capable d’empêcher ses semblables de mourir de faim, de dormir dehors sur un trottoir à Paris… ni de faire de la paix une priorité… Aussi bien au niveau national qu’au niveau international, l’entraide, la solidarité et le partage des richesses ne sont pas des valeurs mises en avant.

Pourtant, ce n’est pas « seulement » une question d’éthique. C’est aussi dans notre propre intérêt.

Nous sommes totalement dépendants les uns des autres : qui a fabriqué les vêtements que nous portons ? et le dentifrice que nous utilisons ? Qui a instruit nos enfants ? Qui a préparé les émissions que nous regardons à la télévision ? Qui a construit la maison où nous habitons ? etc. Même nos habitudes et notre compréhension du monde sont fortement influencés par notre environnement.

L’humanité est comme un écosystème dont tous les éléments sont complémentaires et interdépendants, chacun apportant ses compétences spécifiques, mais aussi sa façon d’être et sa compréhension uniques.

Ce phénomène d’interdépendance a des conséquences profondes sur notre qualité de vie. Si les autres se sentent bien, ils auront davantage de bienveillance envers moi. Si la société va bien, je m’y sentirai bien, je m’y sentirai à ma place, en sécurité matérielle et affective. Les sociologues ont montré que le sentiment d’appartenance à une communauté réduit considérablement les actes d’incivilité et de délinquance. La qualité des relations humaines est le premier facteur du bonheur.

Par ailleurs, différentes études affirment que si nous décidons de partager les ressources de la planète, il y aura assez pour tous ; chacun pourra assouvir ses besoins élémentaires, bénéficier d’une meilleure qualité de vie, et s’épanouir dans un climat de sécurité chaleureux. Alors, apprenons à « penser global », à penser le bien de l’ensemble.

De plus, lorsque plusieurs personnes s’unissent pour réfléchir ou réaliser une action commune, il en émerge quelque chose d’entièrement nouveau, inédit : c’est le fruit de l’intelligence collective. La coopération est créative, et elle procure de la joie ! Grâce à nos différences, on apprend, on invente, on s’améliore…

Dans chaque situation, il est indispensable d’associer la pluralité des points de vue, et de penser global, penser le bien de l’ensemble.  A l’échelle de la société, il est regrettable que les savoirs soient morcelés ; chaque science est hyperspécialisée dans son propre domaine (l’économie, la physique, la sociologie, etc.), chacune ne pouvant apporter que des éclairages extrêmement partiels. Mais sans vision globale, on ne sait pas où on va, on ne peut pas appréhender les problèmes dans leur complexité. La pluridisciplinarité, le dialogue, et la prise en compte des dimensions affective et spirituelle de l’être humain apporteraient une vision du monde plus complète, plus sage.

Alors, pourquoi la fraternité est-elle si difficile à mettre en œuvre ?

En partie, parce que nous-même, nous n’y croyons pas… Le monde d’aujourd’hui est le reflet de la conscience globale de la société. Chacun de nous contribue à embellir ou à ternir sa qualité.Nous avons été façonnés par un certain mode de vie qui nous semble immuable (notre façon de concevoir l’argent, le travail, l’usage des nouvelles technologies, etc.). En fait, d’autres modèles existent ! Et beaucoup d’autres encore restent à inventer !

Parmi la multitude d’initiatives qui favorisent un vivre-ensemble harmonieux, on peut citer : les banques éthiques, le commerce équitable, l’ESS (économie sociale et solidaire), divers systèmes d’échange et d’entraide (covoiturage,…), de nouvelles formes d’habitat collectif, et de nouveaux modèles d’organisations au sein des entreprises, basées sur la gestion participative, les rapports de confiance, et la bienveillance. On peut citer aussi les projets de coopération internationale, et bien sûr les ONG, les associations humanitaires et celles qui œuvrent pour la justice et le respect de la dignité humaine, etc. Le Bouthan, petit pays niché dans l’Himalaya, refuse le concept de PIB (produit intérieur brut) ; il a mis en place un nouvel indicateur de richesse basé sur un développement doux, qui préserve l’humain et son environnement : le BNB (bonheur national brut).

Cependant, malgré toutes ces magnifiques réalisations, il est vrai qu’il reste encore beaucoup à faire.

Il serait bon que les médias mettent en valeur toutes les actions qui vont dans ce sens. De même, le système éducatif, de la maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur, pourrait axer davantage ses méthodes sur l’entraide,  la coopération, la réflexion collective, l’échange des compétences.

La fraternité est le fondement sur lequel nous devons édifier l’avenir, l’idéal qui doit inspirer chacune de nos actions, chacun de nos projets. Les différentes crises que traverse actuellement la société semblent insurmontables. Pourtant, dès lors que  nous aurons fait le choix de mettre le respect du vivant au cœur de chaque problématique, d’innombrables idées pourront fleurir et permettre de bâtir une société de partage, dans laquelle il sera plus facile à chacun de se révéler, de s’épanouir en toute confiance. Lorsqu’on accède à une telle qualité de vie, on est moins avide de consommation, on découvre la joie des choses simples, on devient plus attentif aux autres, plus altruiste ; on assume ses responsabilités, on se sent concerné par le bien de la collectivité, et on s’y implique… 

Le chemin n’est pas tracé d’avance, c’est à nous de le créer, un pas après l’autre. Nous pouvons commencer maintenant. Faire le premier pas. Et le premier pas est peut-être de reconnaître la force créatrice de nos pensées. Toute chose, toute création prend toujours sa source dans l’imagination. Rêvons pour le monde un avenir lumineux, et engageons-nous sur ce chemin… S’engager dans une telle démarche apaise les angoisses et donne du sens à notre vie. Par la force de nos aspirations et l’élargissement de notre conscience, nous participons à la transformation continuelle du monde. Pour cela, il nous faut oublier le connu, et inventer notre vie à chaque instant du quotidien. Je fais ce que ma conscience me demande de faire, peu importe si je marche à contre-sens de la majorité, peu importe si je ne vois pas le fruit de mes actes. Seul compte ce que je suis, ce que je fais maintenant, en ce  moment présent, attentif à mon entourage, sans jamais perdre de vue la communauté humaine à laquelle j’appartiens, ni celle du vivant, l’écosystème Terre.

Pierre Rabhi nous dit : « C’est dans les utopies d’aujourd’hui que sont les solutions de demain. La première utopie est à incarner en nous-mêmes car la mutation sociale ne se fera pas sans le changement des humains. »  

Conclusion

En ce début de XXIème siècle, pour la première fois de l’histoire humaine, les crises, les problèmes, les enjeux ont pris une dimension planétaire. Mais les possibilités de se relier, elles aussi sont devenues globales, multiples, accessibles à tous. Et surtout,  nous avons développé un niveau de conscience qui nous permet de choisir le monde que nous souhaiterions pour demain. Saurons-nous relever les défis inédits qui se présentent aujourd’hui à l’humanité ?

Si nous aspirons à un monde fraternel, cette magnifique idée prendra forme peu à peu. Et des réponses insoupçonnées émergeront progressivement.

Le seul fait d’agir en accord avec notre conscience, avec notre éthique intime, en lien avec nos aspirations les plus nobles, les plus généreuses, est une source de satisfaction inépuisable, une merveilleuse raison de se lever le matin pour « faire notre part ».

L’Histoire a montré maintes fois que des idées qui paraissaient utopiques, irréalistes, finissaient par faire leur chemin et triompher (ex : la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, et bien d’autres…). Mais cela nécessite une forte conviction, et une aspiration profonde à servir l’humanité.

Nous vivons une époque passionnante…

Terminons par deux citations inspirantes. La première est d’Albert Einstein : « Un être humain fait partie d’un tout que nous appelons l’Univers ; il demeure limité dans le temps et dans l’espace. Il fait l’expérience de son être, de ses pensées et de ses sensations comme étant séparé du reste ; une sorte d’illusion d’optique de sa conscience. Cette illusion est pour nous une prison, nous restreignant à nos désirs personnels et une affection réservée à nos proches. Notre tâche est de nous libérer de cette prison en élargissant le cercle de notre compassion afin qu’il embrasse tous les êtres vivants et la nature entière dans sa splendeur. »

L’autre citation est de Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous mourrons tous ensemble comme des idiots. »

  1. Conférence de Frédéric Lenoir : « Guérir le monde »

Connais-toi toi-même …

M.Christine2015

Il est étrange de constater qu’on étudie, à l’école, puis au collège et au lycée, de nombreuses disciplines : les math, la géographie, l’histoire de l’art, etc., toutes sortes de connaissances bien utiles il est vrai, pour comprendre le monde qui nous entoure. Mais qu’en est-il de la connaissance de soi-même, qui va pourtant conditionner toute notre vie intérieure, ainsi que les liens que nous tisserons avec les autres, et avec ce monde, justement ?…

Mais… je sais bien qui je suis !!! allons-nous objecter…

Nous arrivons sur terre avec un certain patrimoine génétique, qui nous donnera différentes caractéristiques morphologiques, physiologiques, ainsi que des traits de caractère psychologiques, des tendances. Mais ces « données de départ » ne sont qu’un potentiel qui pourra être plus ou moins développé selon les circonstances que la vie nous proposera. Dès la naissance (en supposant que nos besoins matériels soient assouvis (chaleur, nourriture, etc.), tout notre environnement a un impact très puissant, sur le plan affectif bien sûr, mais aussi sur notre tendre intellect en formation.

Notre mental va s’emparer de chaque geste, chaque parole, chaque intention silencieuse, perçue dans notre sphère psychique, pour se construire une représentation de notre identité. Nous allons ainsi solidifier certaines de nos tendances, en renier d’autres, réduisant ainsi le champ des possibles, jusqu’à nous convaincre que « nous sommes ceci plutôt que cela ». Ainsi va s’édifier ce que nous appellerons notre  personnalité, ou encore notre ego.

Nous lui attribuerons notre compréhension du monde, nos convictions, comme si elles étaient le fruit de notre propre discernement, alors qu’en grande partie elles seront dues à des conditionnements inconscients. De plus, nous voulons donner aux autres une certaine  image de nous-mêmes, et cette attitude va peu à peu renforcer notre croyance dans cette représentation de nous-mêmes, elle va nous y enfermer. Par exemple si je veux, dans le cadre professionnel, donner de moi l’image de quelqu’un d’efficace, rapide, performant, je serai moi-même pris dans cette illusion, je la cultiverai, même dans ma vie personnelle (consommation de loisirs, hyperactivité, etc.), et n’écouterai pas une autre partie de ma conscience, qui aspire peut-être à prendre du temps pour développer mes qualités artistiques ou pour contempler la nature.

Notre vécu va peu à peu amener certaines « croyances »1à s’installer en nous, « devenir » nous. Nous percevrons les évènements à travers leurs filtres ; cette vision de la vie deviendra pour nous « la réalité ». Par exemple, je crois peut-être que, si je ne me comporte pas de telle façon, mon mari ne m’aimera plus (ou ma mère, ou mon enfant,…).

On peut aussi être convaincu que telle blessure émotionnelle que l’on a vécue dans le passé a définitivement détruit quelque chose en nous. Inconsciemment on entretient cette croyance qui nous emprisonne, car nous avons fait de notre histoire, une identité à laquelle nous sommes attachés, même si cette histoire est douloureuse. Lâcher cette image de nous-mêmes nous ferait peur, on ne peut même pas l’envisager… Les neurosciences nous apprennent pourtant que notre cerveau est capable de se remodeler, de créer, défaire ou réorganiser des réseaux de neurones. Ne figeons pas les choses ; tout est ouvert…

Apprendre à se connaître, à débusquer nos émotions, nos schémas de pensée inconscients, va nous apporter davantage de liberté intérieure. Nous serons moins manipulés par nos propres réactions, nos habitudes, nos rôles, nos masques, donc à fortiori nous serons moins victimes de l’influence inconsciente que notre environnement peut avoir sur notre façon de penser et notre façon de vivre (l’entourage, les médias, la publicité, etc.).

Notre compréhension de la vie détermine notre façon de « lire » les évènements. Quelques exemples :

– une personne sensible à la souffrance animale, aura tendance à repérer très rapidement tous les animaux maltraités partout où elle se rend, alors que d’autres personnes, en toute bonne foi, ne les auront pas vus ;

– une autre personne, qui comprend les relations humaines comme des rapports de force, se sentira tout le temps agressée (et bien sûr, se montrera fréquemment agressive, ou du moins sur la défensive) ;

– ou encore, une personne qui n’a pas confiance en elle, aura souvent l’impression que les autres la jugent, la méprisent, ou l’excluent.

Si nous avons une meilleure connaissance de nous-mêmes, nous distinguerons mieux tout ce qui se joue dans nos relations aux autres, et celles-ci deviendront plus justes, plus saines.

D’une façon générale, notre lecture du monde sera différente, nous comprendrons mieux notre part de responsabilité dans les évènements qui se présentent à nous, mais aussi dans  les problèmes de société.

Enfin, nous serons plus à même de faire des choix en lien avec nos aspirations profondes, de donner, en conscience, une orientation à notre vie.

Comment mieux se connaître ?

Comme dans de nombreux domaines, une profonde aspiration à cette connaissance de nous-mêmes  est absolument nécessaire ; une aspiration sincère, plus forte que la peur de ce que nous allons découvrir, nous conduira progressivement à une connaissance de plus en plus subtile…  

Nous devons nous préparer à accepter, avec une grande humilité, les aspects les plus sombres de nous-mêmes, avec beaucoup de bienveillance. En chacun de nous coexistent des zones plus ou moins sombres et des zones plus ou moins lumineuses.  En tant qu’être humain, notre mission consiste à apporter la lumière de notre conscience sur les zones obscures, et à nourrir les zones les plus lumineuses. Chaque prise de conscience d’un aspect négatif est toujours un moment douloureux ; c’est le pas le plus difficile ; ensuite, il n’est pas facile non plus de se transformer, même si c’est notre souhait, mais le processus est en route, et avec le temps, il portera ses fruits.

Sachons être reconnaissant envers la beauté de ce qui se joue en nous-mêmes, acceptons que ce soit un très lent cheminement, et acceptons d’y contribuer humblement, dans la limite des moyens qui sont les nôtres en cet instant.

Cette acceptation est la condition indispensable pour progresser dans la connaissance de soi.

Nous connaissons bien cette injonction de la tradition chrétienne : « Aime ton prochain comme toi-même ». Nous avons bien compris qu’il nous était demandé d’aimer notre prochain. Mais avons-nous bien entendu que nous devons aussi nous aimer nous-mêmes ? Nous accorder tout le respect, toute la compassion que nous souhaiterions accorder aux autres ? Un amour sans restriction, sans condition ?

De même, les enseignements bouddhistes nous invitent à « accepter ce qui est »… Peut-être serait-il essentiel de commencer par soi-même ?… Une acceptation profonde des différents visages qui nous composent, sera certainement le meilleur moyen d’accepter le monde extérieur, car nous en verrons toutes les analogies avec notre monde intérieur, nous prendrons mieux la mesure de sa complexité.

Si nous avons reconnu nos propres faiblesses, nos propres contradictions, nous serons beaucoup plus compréhensifs, plus tolérants envers les autres.

Par exemple, nous pourrons regarder une personne qui a commis un acte malhonnête, sans la cataloguer comme une personne malhonnête. Nous désapprouverons son acte, sans porter sur la personne un jugement qui l’enfermerait dans une image définitive, irréversible.

Cessons de figer les choses, cessons de mettre des « étiquettes » sur les autres (c’est très difficile), mais d’abord sur nous-mêmes (et quelquefois c’est encore plus difficile !).

Ecoutons ce que nous disent les autres, nos proches en particulier. Leur regard extérieur, même s’il n’est pas toujours objectif ou s’il est quelquefois maladroit, peut apporter un éclairage précieux, à condition qu’on ne reçoive pas les remarques comme des reproches, que l’on ne se sente pas « jugé ».

Observons également ce qui nous irrite, ce qui nous contrarie, chez les autres ; ce sont quelquefois des traits de caractère qui sont aussi présents en nous, et que nous ne voulons surtout pas regarder en face.

L’aide de personnes extérieures est bien souvent indispensable pour panser nos blessures les plus anciennes. Les amis, bien sûr, mais aussi les professionnels de la psychologie, les ateliers de développement personnel, proposant des approches très diversifiées, vont nous aider à reconnaître les douleurs encore présentes, à prendre conscience des expériences qui ont pu nous blesser dans le passé, et à prendre de la distance vis-à-vis des cicatrices encore vives qui subsistent certainement. Avec le temps et la compréhension de ce qui nous enchaîne, ces méthodes pourront nous aider à pardonner ceux qui nous ont blessés, et à nous pardonner à nous-mêmes l’hostilité ou la haine que nous avons pu éprouver envers les personnes qui nous ont fait souffrir.

Les pratiques artistiques et le travail corporel peuventnous permettre d’exprimer un vécu émotionnel, sans passer par le mental, qui bien souvent nous en interdit l’accès.

Les échanges, les lectures, ou tout apport de connaissances sur les sujets qui touchent à des questions existentielles, pourront éclairer les limites de notre compréhension et les repousser progressivement.

En fait, chaque instant de la vie quotidienne, peut devenir un véritable enseignement.

Lorsque nous agissons ou abordons les situations sans être réellement présent, attentif, conscient, nous accumulons des conditionnements supplémentaires. Le mental et les émotions contrôlent notre vie, à notre insu. Mais lorsque nous abordons les situations en restant connecté à notre ressenti intérieur, en restant attentif à nos attitudes, nous faisons à chaque fois un pas de plus vers la connaissance de nous-mêmes.

Je remarque, par exemple, que je ne me comporte pas de la même façon en présence de telle personne ; dès que celle-ci est présente, je ne dis pas les mêmes choses, le timbre de ma voix est un peu différent, je suis plus attentive à ma posture, etc. Pourquoi ?

Il s’agit d’activer une partie plus subtile de notre esprit, un niveau de conscience plus vaste, qui regarde, qui est le témoin de nos actions, de nos paroles, de nos émotions, et même de nos pensées. Cela nous permet d’être beaucoup moins identifiés à celles-ci, et de nombreuses transformations s’opèrent sans même avoir à faire des efforts pour cela. A condition toutefois, d’accueillir ce qui émerge avec beaucoup d’amour…

La méditation nous permet d’expérimenter cet état de présence dans des conditions facilitantes (immobilité, silence, calme…). Peu à peu, avec une pratique régulière, cette « observation intérieure » nous devient plus naturelle, y compris dans les situations du quotidien.

Nous remarquerons d’abord les spécificités de notre identité personnelle : nos besoins, nos désirs, nos peurs, nos fragilités, nos limites, nos facilités, nos atouts,… Puis nous découvrirons les mécanismes psychologiques communs à la majorité des humains : les désirs et les peurs les plus profonds, les plus archaïques.

La méditation, c’est aussi l’écoute de notre silence intérieur. C’est un état privilégié pour accéder peu à peu à des niveaux très subtils de notre être. Quand le mental se tait, ou du moins s’apaise, il laisse la place à une connaissance intérieure profonde, de la Vie qui nous habite. Quand nous osons lâcher nos représentations, en particulier celles de nous-mêmes, que nous avons construites au fil du temps et que nous entretenons soigneusement jour après jour, alors nos limitations habituelles se dissipent, ouvrant sur un espace vaste et lumineux.

Quelques clefs du fonctionnement psychologique

Nous n’allons pas, ici, proposer un cours de psychologie, mais simplement lister, en vrac, quelques exemples, quelques pistes de réflexions que chacun pourra approfondir s’il le souhaite. A noter que ces quelques notions de base pourraient tout à fait être enseignées dès le plus jeune âge, en adaptant bien sûr les méthodes à chaque niveau de maturité.

  • L’égo, c’est la conscience que l’on a de sa propre personnalité. La personnalité d’un être humain est constituée d’un corps physique que nous connaissons bien (morphologie et fonctionnement physiologique), mais aussi d’une activité psychique intense, faite d’émotions et de pensées entremêlées. Ces deux aspects sont indissolublement liés, interdépendants. Un fonctionnement harmonieux entre ces différentes composantes est la condition indispensable à une bonne santé physique et psychologique, ainsi qu’à un épanouissement de la conscience dans des dimensions de plus en plus subtiles, celles que l’on peut qualifier de « spirituelles ». Il est essentiel de considérer tout être humain, à commencer par soi-même, dans son aspect holistique, global, y compris dans les relations qu’il entretient avec son environnement. La médecine ayurvédique et de nombreuses autres thérapies alternatives prennent ainsi en compte la personne dans son ensemble.
  • En l’état actuel de l’évolution humaine, la vie émotionnelle occupe une large place. Il faut bien comprendre que des émotions négatives telles que l’irritation, l’impatience, la jalousie, etc. ne transformeront pas la situation dans le sens que nous souhaiterions. En revanche elles nous procurent beaucoup de souffrance. De plus, nos peurs et nos désirs vont souvent à l’encontre de notre « raison », ce qui entraîne des contradictions internes et de la confusion. D’où la nécessité d’apprendre à repérer nos émotions, y compris les plus subtiles, sans les rejeter, sans chercher à les « maîtriser », simplement en les reconnaissant sans culpabilité, en les accueillant avec beaucoup de bienveillance ; avec le temps, leur emprise s’atténuera peu à peu.
  • Abraham Maslow, psychologue américain dans les années 1940, a identifié et hiérarchisé des besoins de différentes natures, chez l’être humain :
    • les besoins primaires, physiologiques (air, eau, chaleur, nourriture, etc.) ;
    • les besoins de sécurité et de protection (confiance, tendresse, mais aussi sécurité matérielle, codes sociaux et autres repères) ;
    • les besoins d’appartenance, besoins d’échanges sociaux (faire partie d’une famille, d’un groupe, partager) ;
    • le besoin d’estime de soi et le besoin de reconnaissance ;
    • les besoins de créativité et d’accomplissement de soi (« se réaliser soi-même » à travers une œuvre, un engagement).

Cette théorie stipule que l’homme n’atteint le plein développement de son psychisme que s’il est satisfait sur tous les plans. Rappelons que tout est en mouvement, et qu’un besoin satisfait à un moment donné ne l’est pas forcément de façon définitive.

  • Bien souvent, nous désirons quelques chose, mais quand nous l’obtenons nous ne sommes pas satisfaits ; nous désirons aussitôt autre chose. En fait, nous n’avons pas entendu le véritable besoin qui se cachait derrière. Par exemple, je suis en permanence dans l’attente des vacances, parce que mes conditions de travail ne permettent pas à ma créativité de s’exprimer : j’exécute des tâches répétitives, je ne peux prendre aucune initiative, etc.

Quand nous ressentons une insatisfaction sans en identifier la cause profonde, nous tentons de combler le manque par des plaisirs éphémères et inappropriés. Il s’agit d’une stratégie inconsciente de compensation.

  • Un besoin non satisfait va employer tous les moyens pour se faire entendre. Même si le contexte actuel de notre vie ne peut y apporter de réponse, il est indispensable de l’identifier, de le rendre conscient, et de l’exprimer d’une manière ou d’une autre, que ce soit à travers des créations artistiques ou par la parole. Sinon, nous risquons de somatiser, de développer une maladie. Comme le dit Jacques Salomé : « Ce que l’on ne met pas en mots, on le met en maux. ». Certaines personnes risquent de l’exprimer par un état dépressif ou colérique. Apprenons à verbaliser, à dire nos émotions, à dire ce qui nous convient, ce qui nous dérange, à expliquer nos ressentis ; beaucoup de choses nous paraissent évidentes, mais ne le sont pas forcément pour les autres. Chacun a son propre fonctionnement.

Et bien sûr, réciproquement, apprenons à écouter l’autre au-delà de ses paroles. De nombreuses personnes n’arrivent pas, justement, à verbaliser. Leur comportement, leurs attitudes ont peut-être des choses à nous dire.

  • Il est plus facile, pour une personne qui reçoit ou a reçu beaucoup d’amour, de donner beaucoup d’amour. Les personnes qui manifestent de la méchanceté ou de l’agressivité, sont toujours des personnes qui sont dans un certain mal-être, conscient ou non.
  • Nous croyons souvent que notre mal-être vient de l’extérieur (des autres, ou de nos conditions de vie, etc.). Pourtant, dans des circonstances identiques, dix personnes auront des réactions bien différentes. Le regard que l’on porte sur les évènements est essentiel. Il peut, soit nous rendre très malheureux, soit nous laisser plus ou moins indifférent. Ou bien encore stimuler notre aspiration à transformer les choses, à les améliorer, un peu comme un défi …
  • Que ce soit sur les plans matériel, affectif, culturel, spirituel, à tous les niveaux nous avons besoin des autres.
  • Les autres sont un miroir pour nous : si nous manifestons une attitude sincère d’ouverture, de sympathie, de confiance, il est probable que nous recevrons beaucoup plus, de notre entourage, que si nous étions dans une attitude négative.
  • Ne nous arrêtons pas aux apparences, écoutons notre nature profonde. Tant que je suis en situation de supériorité, même minime, et bien souvent de façon très subtile, inconsciente, les choses vont plutôt bien pour moi. Lorsque les choses s’inversent, mon monde s’écroule, je me crois « nul », incompétent, indigne de l’amour des autres, et c’est l’enfer intérieur. Nous sommes en permanence en train de nous comparer avec les autres. Cela entraîne beaucoup de souffrance et des relations aux autres qui ne sont pas saines. Nous n’avons pas à prouver notre valeur, ni par les actions que nous accomplissons, ni par notre pouvoir de séduction. L’écoute intérieure nous donnera peu à peu une confiance tranquille dans notre valeur en tant qu’être humain.
Conclusion

Espérant qu’à l’école soient bientôt enseignées quelques notions fondamentales de la psychologie humaine, ainsi que certaines pratiques qui permettent d’apprendre à se connaître soi-même, chacun de nous peut, dès à présent, expérimenter la joie de s’engager dans cette quête passionnante et sans limites.

La complexité de l’être humain n’a pas fini de nous surprendre, et plus encore, la beauté silencieuse et transparente de sa nature profonde.

Sur le temple de Delphes, figure cette inscription qui inspira toute la philosophie de Socrate : « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les Dieux ».

Et au cœur de la connaissance, il y a l’amour.


(1)   Quelques exemples de croyances
 
o   « La vie est compliquée .Ou injuste. » (ou au contraire : « La vie est pleine de belles surprises. Ou de défis qui me permettent d’avancer.») etc.
o   « Je peux et je dois maîtriser ma vie (ou maîtriser les évènements, ou mon environnement ; maîtriser le monde !) »
o   « Il faut se méfier de tous les hommes (ou de toutes les femmes) »
o   « Après ce que j’ai fait pour elle, cette personne m’est redevable. »
o   « Je ne mérite pas ceci ou cela, je mériterais beaucoup mieux. »
o   « Le monde est hostile, les êtres humains sont tous des ennemis potentiels, il ne faut faire confiance à personne. »
o   « Si j’avais ceci ou cela, je serais enfin heureux(se) »
o   « Je dois me méfier de la tendresse que me donne cette personne, cela me rendrait vulnérable. »

La spiritualité

M.Christine2016

Quelles sont les valeurs mises en avant par notre civilisation occidentale ? Si je veux « exister» aux yeux des autres, je dois : appartenir à une certaine catégorie socio-professionnelle, gagner beaucoup d’argent, être rapide, rationnel, performant, dans mon métier mais aussi dans ma vie personnelle, consommer des loisirs, des activités culturelles, posséder les objets technologiques les plus récents, habiter une maison grande et moderne, soigner mon apparence jusque dans les moindres détails, être beau, jeune, toujours en forme…

Mais cette exigence de « perfection » dans ce que l’on donne à voir, ne nous apporte ni liberté, ni paix, ni bonheur ; tout juste quelques satisfactions ponctuelles et très éphémères…

Face à ce monde « désenchanté », chacun réagit à sa façon. Certaines personnes adhèrent totalement à ce fonctionnement, rassurées d’être « comme tout le monde », dans le flot, ce qui leur donne l’illusion qu’elles resteront invincibles. D’autres se replient sur elles-mêmes, sur des valeurs du passé, sur l’obéissance à des règles, à un cadre imposé.

Mais il existe une autre voie, ou plutôt une multitude d’autres voies, personnelles à chacun, que l’on peut regrouper sous le terme d’« attitudes spirituelles ».

Qu’est-ce que la spiritualité ?

La spiritualité est souvent assimilée à l’idée de religion. En fait, chaque religion met à notre disposition des messages et des rituels destinés à éveiller notre sens spirituel. Mais au fil des siècles, les humains les ont rigidifiés en dogmes, que l’on doit admettre, respecter, vénérer. De nombreuses communautés religieuses affirment enseigner « la vérité », une vérité qui exclut toutes les autres.

Pourtant, une vision spirituelle du monde et de la vie peut aussi être nourrie par une recherche personnelle.

Chacun peut construire pierre par pierre sa propre compréhension. Chacun peut puiser dans différents enseignements religieux ou philosophiques, les conceptions qui lui conviennent, lorsque son expérience personnelle lui a permis de les vérifier « de l’intérieur ».

La spiritualité n’est pas une compréhension figée, une certitude, c’est une démarche, un cheminement continu, avec peut-être, des phases de « réveil », et puis des phases plus passives, ou des phases de doute …

Cette démarche est généralement impulsée par les questionnements que porte chaque être humain dans les profondeurs de son inconscient : quel est le sens de la vie, de la souffrance, de la mort… ?

Pour certains, la spiritualité est le fruit d’une intuition, l’intuition d’une réalité invisible, intemporelle, illimitée.

Chacun, selon sa culture et selon sa représentation, peut la nommer à sa manière : l’Esprit, le Divin, la Conscience Universelle, la Vie (avec un V majuscule), l’Âme du monde, etc. On peut aussi ne pas la nommer du tout, conscient que le langage va déformer, donner une représentation extrêmement réductrice de cet immense mystère. Mais quel que soit le nom qu’on lui donne, on retrouve ce sentiment intuitif d’une dimension supérieure, à laquelle on appartient tout entier, et qui est notre nature profonde.

Sur ce niveau de réalité, la Vie est Une. Tous les êtres, toutes les choses sont unifiés. Et en même temps, cette puissance invisible et silencieuse fait que chacun est un individu unique, et sacré.

La spiritualité, c’est le sens du Sacré. La Vie est comprise et ressentie comme quelque chose d’infiniment précieux. Elle peut être perçue comme un flot d’Amour qui traverse et anime tous les êtres vivants.

Certaines personnes refusent le terme de « spiritualité », parce qu’elles ont du mal à dépasser la représentation qu’elles s’en étaient faite, mais leur propension spontanée à prendre soin du vivant, en est pourtant une expression lumineuse. Tous les élans du cœur, la joie de rencontrer les autres, l’altruisme, le dévouement, l’empathie, la bienveillance, l’amour, sont des manifestations d’une sensibilité à ce qu’est l’essence de la vie.

D’un point de vue plus large, toute motivation qui nous détourne de notre égocentrisme, toute action désintéressée qui nous pousse à nous préoccuper du vivant, à essayer de le comprendre,  est le signe d’un éveil à cette qualité subtile, impalpable, qui relie toutes choses.

Que l’on s’intéresse aux humains, aux animaux, à l’environnement, à la biologie, à l’astronomie, mais aussi aux mathématiques, à la philosophie, à la poésie, etc., chacun de nous, de multiples façons, révèle sa dimension spirituelle.

La spiritualité ne s’oppose pas au monde matériel ! Elle en est simplement la face cachée, qu’il est essentiel de reconnaître pour apprécier la vie dans sa plénitude.

La conscience spirituelle ne regrette rien du passé. Elle n’attend pas non plus que le futur lui apporte le bonheur. Elle se vit au présent, au quotidien. C’est simplement un autre regard sur ce qui est là, et un cœur confiant.

Vers un art de vivre spirituel ?

Le « sens spirituel » est présent chez tous les enfants. Pour quelques personnes, il restera toujours une évidence. Mais bien souvent, comme on l’a vu, notre mode de vie nous en a écartés rapidement : l’esprit de compétition est cultivé dès l’enfance… Une fois adultes, notre fonctionnement et notre compréhension du monde laissent  très peu de place pour l’écoute de notre vie intérieure, et pour une vision de la vie plus vaste que celle que nous procurent nos sens extérieurs. De plus, la spiritualité reste, pour de nombreuses personnes, un sujet tabou, un concept flou associé à une religion ou à un système de croyances. Dans le meilleur des cas, elle est comprise comme une vision étrange de la réalité, fondée sur une perception intuitive qui n’a forcément aucune valeur, puisqu’elle n’est pas vérifiable par une démarche scientifique ; pour certains, elle peut rappeler l’obscurantisme du moyen-âge, et elle peut faire peur …

Cependant, tôt ou tard, brusquement ou progressivement, le besoin de trouver du sens ressurgit, puis s’impose, s’amplifie, jusqu’au jour où il devient le but premier de notre vie. Cela signifie que, au quotidien, instant après instant, on fait des choix, on donne des priorités, on réfléchit à ce qui est essentiel, pour nous et pour l’humanité : dans nos activités, dans nos attitudes, nos paroles, nos relations, etc.

Nous allons, entre autres choses, privilégier un rythme de vie qui nous laisse le temps d’être présent… au moment présent. Présent à ce que l’on fait, au moment où on le fait. Un rythme de vie qui nous laisse aussi des moments pour réfléchir à ce qui vient de se vivre, prendre du recul, intégrer ce qui s’est joué dans telle ou telle action, notamment si celle-ci implique une relation aux autres. Comme le dit le philosophe Paul Virilio : « Il ne faut pas que le réflexe remplace la réflexion. Il faut se laisser le temps de réfléchir, le temps d’aimer ». Pierre Rabhi nous rappelle également qu’« on oublie trop souvent que ce n’est pas le temps qui passe, mais nous qui passons. Nous passons trop souvent à côté de nos vies, qu’il nous faut apprendre à habiter, à tous les instants. ».

Cela nous amènera progressivement à regarder, à écouter les choses d’une façon plus profonde. A mieux nous connaître, également. A observernos fonctionnements psychologiques, nos schémas mentaux, nos peurs, nos défenses, nos jugements étriqués, nos croyances,… afin d’être de plus en plus sincère avec nous-mêmes, et d’exprimer au mieux la part de vérité qui nous a été confiée.

Il nous faut apprendre à percevoir ce qui ne se voit pas, « l’âme » des personnes et des choses, et sur ce niveau de conscience-là, on expérimente la notion d’Unité, on ne se sent pas séparé des autres, et on comprend notre double nature, individuelle et universelle…

On développe notre capacité à « écouter » notre voix intérieure, mais aussi à être attentif, disponible aux messages que nous offrent les circonstances, les situations,…

Antoine de Saint Exupéry l’exprime merveilleusement bien : « Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »

On apprend aussi à s’émerveiller, à apprécier chaque instant : le fait de vivre, de respirer, d’échanger avec les autres, de voir tout ce qui nous est offert : la pluie, la beauté d’un arbre, la nourriture, la magie des mots, la diversité infinie de la Vie,… On apprend à remercier.

«  C’est par la gratitude pour le moment présent que s’ouvre la dimension spirituelle de la vie. » Eckart Tolle.

La spiritualité ne se vit pas dans un espace ou un temps « à part », elle n’est pas une « activité » que l’on pratique de temps en temps, pour se ressourcer ou se donner bonne conscience. C’est un regard qui traverse chaque seconde de notre vie.

Cependant il est nécessaire de la cultiver, et donc, de lui offrir un peu de temps : on peut consacrer des moments spécifiques à la méditation, on peut aussi pratiquer des pauses « d’écoute intérieure », régulièrement, tout au long de la journée ; quelques secondes à une minute suffisent à modifier notre état de conscience ! Ou bien, on pourra tout simplement… s’accorder du temps pour ne rien faire ! C’est extrêmement enrichissant !

De même, prendre appui sur des rituels n’est pas indispensable ; pourtant, ceux-ci peuvent être des supports, des « rappels » qui viendront ponctuer le quotidien, qu’il s’agisse de rituels empruntés à une religion ou une tradition ancienne, ou bien de rituels personnels.

La plupart du temps, nous sommes entièrement absorbés par les sollicitations de notre environnement et les relations aux autres ; nous oublions de prendre soin de notre jardin intérieur, de nous rendre réceptif aux énergies du ciel et de la terre, afin de les assimiler, de les manifester, de les rayonner,… De nombreux enseignements nous rappellent que cette « Vérité », que l’on cherche partout, se trouve en réalité à l’intérieur de nous-mêmes…

Maurice Carême, poète du XXème siècle, a repris le message d’une ancienne légende hindoue.

        Il chercha Dieu  
Il chercha Dieu sur terre,
Le chercha dans la mer,
La lune, Vénus, Mars,
Le soleil, les étoiles,
Le chercha, étonné
De ne pas le trouver,
Sans jamais deviner
Que Dieu se confondait
Avec ce qu’il avait
De plus clair, de meilleur
En lui au fond du cœur.
 

Mais on peut dire également, même si cela peut paraître paradoxal, que cette « Vérité » est partout, en toutes choses, en tout lieu, en tout instant,… si on sait la voir…

Le contact avec la nature favorise particulièrement cette conscience d’appartenance à un Tout plus grand que nous. On peut contempler avec les yeux et avec le cœur, toute la beauté, toute la magie, toute la sagesse de cette vie qui se donne à elle-même, depuis la nuit des temps, imperturbable, inépuisable,… sauf quand l’humain la détruit…

L’idée de spiritualité est quelquefois mal comprise : on pense que seul l’esprit est sacré, digne d’intérêt, et l’on dénigre le corps physique, comme quelque chose d’impur dont il faudrait étouffer les besoins. Le corps et l’esprit sont pourtant les deux facettes de l’être humain, deux aspects entre lesquels il est nécessaire de chercher la meilleure coopération, le plus juste équilibre. Soyons bienveillant avec notre corps, respectons ses plaisirs et les émotions qui leurs sont associées ; quand notre esprit est suffisamment nourri de lumière, nos mirages se dissipent peu à peu, et nos désirs se purifient d’eux-mêmes. Corps physique, émotions, et mental, sont les instruments qui vont nous permettre d’exprimer les réalités que nous contactons par le biais de l’esprit. Par le mot « exprimer », il faut entendre non seulement nos paroles ou nos actions, mais surtout une certaine qualité d’être.

De même,  ne méprisons pas les réalités matérielles ! Il est vrai, comme le dit le psychiatre Christophe André, que nous sommes immergés, en partie à notre insu, dans une véritable « pollution matérialiste […] qui imprègne notre esprit aussi sûrement que la pollution, de l’air, de l’eau ou des aliments pénètre notre corps ». Il dénonce cette croyance erronée en un bonheur qu’on pourrait acquérir en possédant des choses. Nous l’avons tous expérimenté : chaque désir assouvi fait place à un nouveau désir, et nous vivons dans cette attente perpétuelle du « toujours plus ». Cette attitude de convoitise est en effet source de souffrance, tout comme le fait d’attacher beaucoup d’importance aux apparences, Par contre, il ne s’agit pas de renoncer à s’impliquer dans des activités « concrètes », ni de s’interdire d’apprécier le confort, l’esthétique, et même « l’inutile » quelquefois. Simplement, comprenons que le plan matériel devrait être un miroir de l’Amour, de la Sagesse et de la Beauté du plan spirituel, et que nos réalisations doivent être animées de cette intention.         

Vivre dans la spiritualité, ce n’est pas être « parfait », ni mener une vie irréprochable ! Quelquefois, nous sommes très loin de l’idéal que nous souhaiterions offrir au monde ! Pourtant, inutile de nous culpabiliser. Essayons d’être le plus cohérent possible entre la façon dont nous comprenons les choses, et la façon dont nous agissons. Et généralement, c’est très difficile ! Mais comme le dit Pierre Rabhi : « […] ce que l’on acquiert à travers la difficulté prend de la valeur et devient précieux.  […] Le chemin sera probablement balisé de difficultés, mais, en les surmontant, j’apprends, et le chemin devient alors initiatique. »

Nous faisons avec ce que nous sommes à ce moment présent, mais notre conscience veille, enregistre l’expérience, se prépare à « faire mieux » la fois suivante … Notre fil conducteur est de faire « de notre mieux », d’essayer de donner le meilleur de nous-mêmes à chaque instant, en fonction du contexte, et de nos possibilités physiques et psychologiques.

Qu’est-ce que la conscience spirituelle peut apporter au niveau de la société ?

Ceux qui doutent de l’intérêt d’un travail sur soi – qu’il s’agisse de développement personnel ou spirituel – avancent souvent l’argument d’une démarche égocentrique, qui ignore les problèmes du monde. Mais le monde d’aujourd’hui est ce que nous en avons fait ! Et le monde de demain sera ce que nous en ferons ! Une civilisation reflète l’état d’esprit de l’ensemble de ses individus, largement augmenté par l’effet de groupe. Le changement commence au cœur de chacun de nous.

« Quand une multitude de petites gens dans une multitude de petits lieux changent une multitude de petites choses, ils peuvent changer la face du monde. » Erich Fried.

Révéler notre dimension spirituelle, c’est apporter au monde une contribution positive, même si elle est très modeste.

Découvrir que l’on n’est pas né pour consommer, mais pour devenir toujours plus conscient de la Vie qu’on porte en soi, va entraîner, à long terme bien sûr, de nombreuses conséquences, tant sur le plan individuel que collectif.  

La santé physique et psychique s’améliore, un sentiment de tranquillité intérieure s’installe, et les relations entre les personnes en sont totalement bouleversées. Si on a davantage confiance en la Vie, on a moins de peurs, moins d’avidité, moins d’orgueil. On éprouve moins le besoin de rechercher en permanence la reconnaissance des autres, on ne se sent plus en concurrence avec eux, on se compare beaucoup moins. Les conflits deviennent plus rares et beaucoup moins violents, à tous les niveaux, y compris à l’échelle des états.

Le sens de la fraternité est éprouvé « de l’intérieur », et non pas seulement vécu comme un idéal intellectuel.

A son tour, ce contexte plus harmonieux permet à chacun de trouver sa place, sa « mission », au sein de la communauté humaine, ce qui lui permet d’exprimer son plein potentiel.

Ainsi s’enchaînent en cascades des modifications, vraiment insignifiantes au départ, mais qui se vitalisent les unes les autres de façon exponentielle… Cela semble utopique ? Mais… « Il n’y a pas de grande réalisation qui n’ait été d’abord utopie. » (Anonyme)

Le sens de la justice, le sens du partage, s’imposent comme des évidences.

De même, le sens des responsabilités, le sens de l’intérêt général, vis-à-vis de l’humanité dans son ensemble, mais aussi vis-à-vis de l’environnement et de la planète toute entière.

Et ces valeurs, qui ont pris naissance dans la conscience de chacun, entraînent un changement radical dans l’orientation des sociétés : les valeurs véhiculées changent de visage, les décisions et les actions suivent… On favorise la qualité, plutôt que la quantité, on développe l’être plutôt que l’avoir.

Conscient que la Vie a une valeur infinie, tous nos choix sont inspirés par le respect du vivant: mode de vie plus sain, plus sobre et plus joyeux, restauration des liens sociaux, lutte contre le gaspillage, agriculture biodynamique, énergies renouvelables, économie durable et équitable, finance éthique et solidaire, démocratie participative, éducation favorisant l’épanouissement de l’Etre dans toutes ses dimensions,…

André Malraux a déclaré « Le XXIème siècle sera spirituel, ou ne sera pas ».

Conclusion

Quand nous sommes dans la Présence de ce souffle de Vie, si  fragile et éminemment précieux, qui est en nous, tout autour de nous, et dans tout l’univers, nous retrouvons, nous éprouvons dans notre chair, la conscience d’être « à notre place », dans le vaste ballet des étoiles. Nous sommes en paix.

En même temps, nous participons à cette œuvre universelle qui consiste à révéler la qualité spirituelle présente dans le monde qui nous entoure.  

Ecoutons les paroles du Dr Jon Kabat-Zinn : « Il s’agit d’incarner votre vérité et votre amour, instant après instant, jour après jour, aussi pleinement que vous le pouvez, dans les moments agréables mais aussi dans les moments difficiles. Lorsque vous vivez ainsi, le monde est déjà différent, dans des proportions qui semblent infimes, à peine significatives. En fait, ce qui paraît petit n’est pas petit. Ces transformations sont gigantesques et leur pouvoir de guérison est immense, à l’intérieur comme à l’extérieur ».

Les états émotionnels

M.Christine2011

1.  Quelques généralités

Une vision de l’être humain

On peut schématiser la personnalité en identifiant 3 dimensions : le corps physique, l’émotionnel et le mental. Ces 3 aspects se superposent, s’interpénètrent, sont étroitement liés, totalement interdépendants. Cependant, selon les moments, selon les circonstances, notre conscience est davantage focalisée sur l’un ou l’autre de ces aspects. Cela explique nos nombreuses contradictions : une partie de nous comprend les choses d’une certaine façon, une autre partie de nous est sous l’emprise d’un désir ou d’une peur… (ex : Je souhaite sincèrement réussir mon examen cette année, mais quand les copains me proposent une soirée, j’oublie totalement que j’avais prévu de réviser…)

Au stade actuel de l’évolution humaine, la plupart des comportements humains sont sous l’influence directe des émotions : nos paroles, nos actions, nos attitudes,…

Les émotions mettent « plein de couleurs » dans notre vie. A travers elles nous nous sentons vivants ; s’il n’y avait pas le rire, la tristesse, l’étonnement, etc. nous serions comme des robots. Mais quand les émotions nous envahissent, elles nous font souffrir. Elles sont responsables de nombreuses difficultés, psychologiques, relationnelles, et même physiologiques.

Emotions ? Sentiments ? Précisions

Dans cet exposé, sous l’expression « états émotionnels », on parlera en fait :

  •  des émotions : états relativement ponctuels (de quelques minutes à quelques jours),
  • des sentiments : états plus stables, qui s’inscrivent dans une durée beaucoup plus longue (la culpabilité, le sentiment amoureux, etc.)
  • des tendances, des dispositions à éprouver tel ou tel type d’émotion ; tendances qui peuvent être innées (promptitude à la colère), ou qui peuvent être apparues suite à un traumatisme ou à des expériences répétées (sentiment d’infériorité,…).

Le mot « émotion » vient du latin « e movere », qui veut dire « mise en mouvement » ; ce sont les émotions qui nous poussent à agir, dans une direction ou une autre.

Une émotion est un message, le signal d’un besoin ; elle nous pousse à faire quelque chose (fuir, montrer qu’on a besoin de sentir respecté, ou d’être écouté, ou réconforté, ou besoin qu’on nous laisse tranquille, etc.). C’est une réaction psychologique et physique à un événement, à une situation ; elle exprime notre ressenti face à cette situation.

Les émotions/sentiments racines, et leurs déclinaisons (classement relatif et non-exhaustif !) :
Le désir (de différentes natures : matériel, affectif, pouvoir, etc.) : envie, avidité, passion, impatience,/ déception, amertume, dégoût,…
la colère : agacement, contrariété, mécontentement, irritation, rage, amertume,                     ressentiment, rancune, frustration, sentiment de trahison, sentiment d’injustice,…
l’orgueil : fierté 
la jalousie : envie, ambition, peur de ne plus être aimé…
la peur : anxiété, angoisse, trac, effroi, doute, sentiment d’abandon, sentiment d’insécurité,… la tristesse : mélancolie, nostalgie, regret, désespoir, découragement, ennui,…
la honte : humiliation, sentiment de rejet, culpabilité, dégoût de soi-même,… 
la surprise : étonnement
la joie : satisfaction, soulagement, plaisir, amusement, excitation, enthousiasme, euphorie,…
l’amour : affection, amitié, admiration, respect, empathie, compassion, dévotion…
la sérénité : confiance, plénitude, sentiment de bien-être, de sécurité,…
la gratitude : reconnaissance, émerveillement,… etc.
En réalité, la plupart du temps, c’est un mélange de plusieurs émotions, qui nous traverse.  

Comment se manifestent les émotions ?

Les émotions ne dépendent pas de notre volonté ; elles s’imposent à nous.

Pratiquement toutes nos pensées sont teintées d’émotions, mais nos émotions ne s’expriment pas seulement au travers des pensées : on peut en observer de multiples manifestations au niveau corporel (accélération de la respiration ou des battements du cœur, tremblements, sueurs, rougissement ou pâleur du visage, envie de crier – de joie, de peur ou de colère,… – , nœud à l’estomac,…), ou  encore diverses sensations psychiques (sentiment de solitude, mal-être diffus,…).

Il y a les états émotionnels dont on a conscience : certains qu’on arrive à maîtriser à peu près, d’autres qui nous emportent encore régulièrement et qu’on ne reconnait qu’après un certain temps.

Mais il y a également ceux qu’on ignore, que l’on n’ose même pas regarder en face, parce qu’ils nous font peur (des mémoires douloureuses…), d’autres encore, parce qu’on en a honte (la jalousie, l’orgueil,…), ou ceux dont on ne peut pas avoir conscience parce qu’on a toujours vécu avec, qu’ils nous imprègnent, qu’ils colorent notre vision du monde sans qu’on le sache (on pense que c’est la Réalité). Ces états émotionnels, même si nous n’en sommes pas conscients, ont aussi des conséquences sur nous-mêmes, nous conduisant souvent à somatiser, pouvant entraîner de véritables pathologies (eczéma, ulcère, dépression,…). Et bien sûr, ces états émotionnels inconscients, comme les autres, ont des répercussions sur notre entourage…

D’une manière générale, de nombreuses émotions consomment, consument notre énergie inutilement. Elles altèrent, de façon plus ou moins intense et plus ou moins durable, notre capacité de raisonnement…

2. Pourquoi vouloir « travailler » sur nos émotions ?

Au-delà des conséquences physiologiques citées plus haut, il est essentiel de comprendre l’importance de « travailler » sur nos émotions. Il ne s’agit absolument pas d’essayer de les supprimer ni de les maîtriser, mais de prendre conscience de leur impact sur notre vie, de les reconnaître lorsqu’elles là, de les « mettre à distance », et de ne pas les saisir, ne pas les entretenir.

Les émotions voilent notre perception de la réalité

On peut comparer les émotions à des filtres qui « colorent » notre perception de la vie ; des filtres qui transforment, déforment les évènements, en fonction de notre culture, de notre vécu – proche ou lointain. Nous nous faisons une représentation subjective de la réalité, qui va nous « pousser » à répondre de façon plus ou moins adaptée, ou qui va quelquefois nous enfermer dans tel ou tel type de comportement. On dit que « la peur est mauvaise conseillère », mais bien souvent, les autres émotions le sont aussi !

Si l’on aspire à une plus grande liberté de conscience, il est nécessaire de ne plus être dupe de nos émotions, ne plus être sous leur emprise.

Concernant les émotions que l’on trouve agréables, on peut en distinguer deux sortes :

  • Celles qui sont en relation avec un amour altruiste, désintéressé, non seulement ne posent pas de problème, mais doivent être développées !
  • Les autres émotions « agréables » sont souvent éphémères. Elles expriment qu’un désir est satisfait. S’il s’agit d’un désir égocentré, nous sommes dans un certain mirage qui, tôt ou tard, prendra fin et fera place à une souffrance (ex : C’est formidable, je suis au sommet de ma réussite professionnelle ! Mais un jour je serai trop âgé, quelqu’un d’autre prendra ma place…). Quelquefois, au moment-même où l’on est joyeux ou heureux, on est déjà inquiet à l’idée de perdre ce bonheur (ex : J’aime cet homme et il m’aime, mais j’imagine qu’un jour il pourra me quitter, et j’en suis malade…).

Nos états émotionnels ont une forte influence sur les autres

L’énergie émotionnelle est très communicative. Si nous rayonnons la joie ou la confiance, notre entourage en bénéficiera, et c’est tant mieux ! Mais s’il s’agit d’inquiétude, de stress, de découragement, etc., nos proches en subiront l’impact, bien souvent de façon inconsciente, et c’est toute une famille ou tout un groupe de personnes qui seront immergés dans une ambiance néfaste, même si certains y sont moins sensibles que d’autres. Les enfants sont particulièrement perméables aux émotions qu’ils perçoivent dans leur environnement.

C’est pourquoi, si l’on veut entretenir des relations saines avec les autres, il est souhaitable d’être conscient de notre état intérieur. Lorsqu’on décèle un mal-être, une colère, ou toute émotion susceptible de nous submerger, peut-être pourrons-nous essayer de nous isoler pendant quelques instants, le temps de laisser la vague émotionnelle se déployer puis commencer à décliner peu à peu. Les émotions ne sont que des mouvements de notre esprit, qui vont, qui viennent, apparaissent et disparaissent ;  si nous ne les vitalisons pas par nos pensées, si nous les observons avec sérénité, comme le ferait un témoin extérieur bienveillant, elles se dissiperont plus rapidement.

Et s’il ne nous est pas possible de prendre ce moment d’intériorisation, nous pouvons faire part de notre état intérieur à notre interlocuteur, lui révéler notre ressenti. Une émotion identifiée et verbalisée diminuera en intensité ; cela évitera qu’elle déborde de façon inappropriée, et génère une situation conflictuelle…

La cause des émotions se trouve en nous-mêmes

On croit souvent que ce sont les autres, ou les évènements extérieurs, qui sont responsables de nos plaisirs ou de nos tourments. En fait, c’est à l’intérieur de nous-même qu’il faut en chercher la cause. Nos attentes, nos expériences passées, la façon dont nous appréhendons les situations, et encore beaucoup d’autres facteurs déterminent nos ressentis émotionnels. Il suffit par exemple de constater comment cinq personnes pourront vivre le même événement et le percevoir de manières très différentes, voire opposées quelquefois !

Si on remonte à leur source, tous les états émotionnels sont l’expression soit d’un désir, soit d’une peur :

  • Désir de confort matériel, désir d’être aimé, reconnu, désir que « l’autre » se comporte comme on le souhaite, que les évènements se déroulent selon nos attentes, soif de pouvoir ou de « liberté » (quelle qu’en soit notre conception), désir d’appartenir à un groupe (famille, catégorie sociale, groupe d’affinité, nation), etc. Entre besoin et désir, la limite est floue et subjective. Le besoin se réfère à quelque chose d’indispensable à notre équilibre physiologique et psychique ; le désir, quant à lui, renvoie à quelque chose qui n’est pas vital, mais qui est censé nous apporter davantage de bien-être ou d’épanouissement. Nous reviendrons plus loin sur cette notion.

     Quant à la face cachée du désir, c’est la peur, le refus de ce qui pourrait survenir :

  • Peur de souffrir ou de perdre ce à quoi l’on est attaché, qu’il s’agisse de nos proches, de notre santé physique ou psychologique, de nos possessions matérielles, nos habitudes, nos opinions, notre renommée,…

L’introspection mettra en évidence le fait que c’est là qu’il faut chercher l’origine de nos difficultés, dans ces impulsions de désirs et de peurs enracinées dans notre psychisme, et non pas à l’extérieur de nous.

Transformer la nature des désirs : une libération

Le désir, tel qu’il a été défini plus haut, n’est pas négatif en soi. Il est le moteur de l’existence ; il nous permet d’avancer, d’apprendre, de nous dépasser. Par contre, ce qui bien souvent est problématique, c’est que nous n’arrivons pas à identifier le besoin profond qui se cache derrière un désir. La plupart du temps, nous nous trompons de cible et sommes alors emportés dans le tourbillon du « toujours  plus ». Toujours plus d’argent, toujours plus de confort, toujours plus de loisirs, etc. A peine un désir est-il assouvi que de nouveaux désirs apparaissent… Le désir semble insatiable.

Frédéric Lenoir, dans son livre sur Spinoza*, nous rappelle que l’être humain est animé par le désir, et que tout désir est la poursuite de la joie. « La sagesse, dit-il, […] ne consiste pas à diminuer la force du désir, mais à l’orienter. »

Plus on avance sur le chemin de l’évolution, plus les désirs égocentrés font place à l’envie de progresser, de grandir intérieurement : comprendre, expérimenter, développer notre créativité, manifester des valeurs universelles telles que justice, partage, fraternité, conscience de l’interdépendance et de notre appartenance à quelque chose de plus vaste : l’humanité, l’univers, la Vie Une. Ces « désirs »-là, ou plutôt ces aspirations, loin de tout égocentrisme, ont des conséquences positives, constructives, pour nous-mêmes et pour notre entourage.

L’élargissement progressif de son champ de conscience permettra à l’être humain de développer des qualités telles que l’altruisme, l’empathie, la compassion, l’amour universel… qui ne sont pas des états émotionnels, mais qui sont le fruit d’une compréhension éclairée de la Vie Une, la vie dans son unité.

* « Le miracle Spinoza » de Frédéric Lenoir

3. Comment prendre de la distance par rapport à nos émotions ?

S’accorder des moments pour méditer

Assis sur un coussin, ou en marchant seul, dans la nature, tourner notre regard vers l’intérieur, rester dans le silence, afin de laisser émerger nos émotions inconscientes.

Des pratiques plus spécifiques peuvent aussi favoriser la mise à distance de nos émotions :

  • Nous relier à un niveau de conscience qui n’est pas (ou qui est moins) atteint par les émotions ; expérience d’un état plus apaisé, que l’on pourra retrouver plus facilement dans la vie quotidienne.
  • Découvrir et entraîner notre capacité à déplacer notre attention dans différentes parties du corps ; ainsi nous aurons plus de facilité à changer la focalisation de la conscience lorsque ce sera nécessaire.
  • S’entraîner à regarder en face une émotion qui nous a affecté :
    • Retrouver dans quel contexte elle est apparue : dans quel état intérieur étions-nous juste avant ? en présence de quelle(s) personne(s) ? quelles circonstances extérieures ? comment l’émotion s’est-elle manifestée (quelles sortes de pensées nous ont traversés ? quelles sensations corporelles ?) ?
    • Essayer (si possible) de nommer l’émotion ou les émotions qui étaient présentes : il s’agit, la plupart du temps, d’un mélange de plusieurs émotions. Essayer de remonter à leur source : quelles sont nos attentes, nos peurs ?
    • Accepter, accueillir avec une profonde bienveillance les émotions « négatives », celles dont on n’est pas très fier (la colère, la jalousie,…) ; ne pas les alourdir par de la culpabilité, du refus. En avoir pris conscience est déjà un pas important.Donc, accueillir l’émotion, jusqu’à ce qu’elle perde de son intensité, et même peut-être, de sa réalité…
  • Etre également attentif aux pensées qui nous traversent, car bien souvent celles-ci entretiennent ou raniment des émotions.

Au quotidien : essayer d’être présent, et développer certaines attitudes

  • Comme pendant la méditation, essayer, le plus souvent possible, dans la journée, d’être présent, attentif aux pensées, aux états émotionnels qui nous traversent (essayer de les déceler à leur racine, au moment où ils font leur apparition, notamment pour les plus récurrents).
  • Si une émotion difficile est déjà « installée » et qu’en toute sincérité, on souhaite l’apaiser : travailler sur la respiration, la détente du corps physique, le rappel de ce que nous avions compris quand nous y avions réfléchi à distance, ou la concentration sur une idée qui nous inspire (un mot, une personne, un paysage qu’on apprécie…).
  • Comprendre que, quels que soient les évènements extérieurs, nous avons la possibilité d’alimenter nos émotions, ou au contraire de chercher à les apaiser, afin d’être plus libre, plus heureux. Observer combien les émotions sont passagères, inconsistantes. De la même manière que la pluie succède au soleil, et le soleil à la pluie, les états émotionnels sont transitoires et se transforment en permanence. Par cette compréhension éclairée, il est possible de les atténuer, voire de les dissoudre.
  • D’une façon générale, essayer de développer, sur le long terme, certaines attitudes qui faciliteront la distanciation face aux mouvements émotionnels (voir l’article Feuille de route).

Certaines émotions liées à des peurs profondes seront probablement là tout au long de notre vie, mais peu à peu elles deviendront moins fréquentes, moins vives, moins douloureuses, et leur impact sera de plus courte durée.

Apprenons à ne pas saisir, à ne pas nous identifier à nos états émotionnels…  Nous sommes beaucoup plus vastes que cela ! Tant qu’on laisse les émotions circuler, sans les alimenter par la pensée, elles ne peuvent pas nous faire de mal, elles ne peuvent pas nous blesser, tout juste nous troubler. Laissons-les circuler…  

Et n’attendons pas d’être confronté à une épreuve trop douloureuse, pour entreprendre ce travail. Utilisons au mieux chaque instant qui nous est donné. Nous aurons la joie de percevoir la vie dans une dimension plus subtile et plus riche…

Cheminement intérieur

M.Christine2012

La Vie est une transformation permanente, un grand mouvement d’énergies, de différentes natures, de différentes densités, qui s’associent, se différencient, se modifient… La Création est continue, permanente…

Au sein de ce grand tourbillon, l’espèce humaine est bien sûr, elle aussi, en évolution, et chaque être humain – chacun de nous – au cours de sa vie, se transforme, au niveau physique comme sur le plan de son esprit.

Pendant un certain nombre d’années, nos modifications « psychologiques » sont liées aux circonstances extérieures (environnement familial, professionnel, social,…), aux expériences que l’on vit, expériences plus ou moins choisies, plus ou moins subies. Notre esprit se transforme un peu « malgré nous ». Cependant, peu à peu – ou quelquefois de façon assez brusque, suite à une rencontre ou suite à une épreuve -, les activités, les plaisirs qui nous attiraient, qui nous motivaient, ne nous apportent plus les mêmes satisfactions. De façon plus ou moins consciente, on comprend que la source de nos difficultés, de nos souffrances, réside en nous-mêmes, et on aspire alors à « autre chose », sans pouvoir forcément mettre des mots sur cet « autre chose », si ce n’est une certaine paix intérieure. On comprend que l’on a la possibilité de donner consciemment une certaine orientation à notre vie.

Alors commence notre recherche, notre quête sur le sens de la vie. Alors commence notre cheminement intérieur, notre cheminement « spirituel », dans le sens où l’on entreprend un travail sur nous-mêmes, un travail sur notre esprit, pour tenter de nous rapprocher de ce que l’on perçoit vaguement comme notre « vérité intérieure ».

Différentes voies s’offrent à nous : l’adhésion à voie religieuse, à une tradition spirituelle ou à une conception philosophique ; mais  cela peut être également une voie personnelle, fruit de différents éléments que l’on a intégrés à travers notre expérience de vie, une voie de recherche, en perpétuel questionnement …

Toutes ces voies ont pour but de nous aider à mieux nous comprendre nous-mêmes, à mieux comprendre notre relation aux autres, notre relation à la Vie, notre relation à l’Univers. On aspire à développer une « qualité d’être », plutôt qu’à rechercher des plaisirs ou des satisfactions éphémères.

Ce que nous souhaitons présenter ici, ce ne sont pas les différentes facettes de ce travail sur nous-mêmes, que vous pourrez retrouver dans de nombreux ouvrages de sagesse, mais plutôt quelques indications sur le parcours en tant que tel, que ce soit à travers une voie spécifique, ou non : les difficultés, les moments de crise, la notion de cycle, et les outils dont nous disposons pour progresser dans ce cheminement intérieur.

Principaux obstacles ou difficultés

Nous parlons ici d’obstacles ou de difficultés « intérieures », c’est-à-dire générés par notre compréhension encore partielle.

Notre première difficulté, commune à tous, est justement de ne pas « voir », ne pas nous rendre vraiment compte des limitations de nos perceptions mentales.

Les éléments suivants n’ont pas la prétention d’apporter des réponses magiques aux difficultés, mais simplement d’aider à en identifier quelques unes que l’on peut rencontrer (ou ne pas rencontrer !). Un problème bien identifié porte en lui-même sa solution …

  • Un décalage entre notre aspiration et nos comportements

Ce que l’on a compris, ce que l’on pressent, ce que l’on croit juste, tout cela doit être mis en pratique et vérifié par l’expérience de la vie quotidienne ; c’est seulement ainsi que l’on peut apprécier la valeur d’une idée, et la faire nôtre véritablement.

D’ailleurs, de nombreuses traditions nous enseignent que, plus notre conscience s’élargit, plus grande est notre responsabilité vis-à-vis des autres… Nous avons donc le devoir de faire de notre mieux pour mettre en cohérence nos pensées, nos paroles, et nos actions, en lien avec notre aspiration profonde.

  • Une certaine inertie

Nous aimerions bien accéder à cette nouvelle dimension de la vie qui nous devinons confusément, mais nous avons du mal à nous imposer les efforts nécessaires.

Peut-être sommes-nous encore trop souvent dans le doute ?

Ou que notre aspiration n’est pas encore assez ferme ? On voudrait bien, sans vraiment vouloir…

Ou bien peut-être avons-nous peur du changement ? Prendre un autre chemin, c’est prendre le risque d’abandonner certaines de nos habitudes, prendre le risque de nous éloigner de ceux qui nous connaissent et nous « attendent » tel qu’ils nous ont connu, le risque de perdre ceux qu’on aime, et aussi le risque de perdre l’image que l’on s’était faite de soi-même, et à laquelle on est très attaché…

Le contexte de la société actuelle nous entraîne vers des valeurs opposées à la spiritualité : importance des apparences, recherche du plaisir, vitesse, agitation, performance, individualisme,… Faire le choix de « se mettre en chemin » implique certains renoncements ; si l’on veut déployer un nouveau champ de conscience, il faut « faire de la place », accepter de consacrer moins de temps, mais surtout moins d’énergie mentale, à des occupations ou préoccupations que l’on reconnaît maintenant comme secondaires. Pour donner vie à une idée, il faut la nourrir inlassablement, à chaque instant de notre vie. Mourir à ce que l’on croyait être, pour renaître à autre chose…

Alors n’ayons pas peur de nous engager dans une certaine discipline et une certaine éthique de comportement, qui finalement nous conduiront à une plus grande liberté et une vie intérieure plus intense.

  • Un sentiment de solitude sur ce chemin, un sentiment d’incompréhension

Pourtant, on n’est pas seul, à avoir entrepris cette démarche ! On est nombreux à s’être mis en route, et peut-être nombreux à croire que l’on est seul… Nombreux sont ceux qui ont déjà traversé des épreuves semblables aux nôtres, et sont un peu plus avancés que nous sur le sentier… Osons partager autour de nous nos questionnements, nos expériences, nos idéaux… Soyons attentifs, écoutons les autres, nous découvrirons certainement des personnes ou des groupes qui ont une vision proche de la nôtre, ou qui tâtonnent comme nous. Et lorsqu’on est seul chez soi, retournons aux lectures qui nous avaient inspirés, messages de pèlerins qui se cherchent, ou de sages éclairés. Non, nous ne sommes pas seuls…

  • L’impatience ou le découragement

Nous aimerions que les choses se déroulent telles qu’on les imagine, telles qu’on le voudrait ; nous aimerions voir une progression rapide… Pourtant, nous savons bien qu’il s’agit d’un engagement de longue haleine, très longue haleine… Pour devenir pianiste il faut passer beaucoup de temps à jouer, à répéter ; de même, il faut du temps pour explorer l’immensité de notre conscience…

Essayons de trouver le juste milieu, le juste équilibre entre une volonté trop faible et une volonté trop forte… Pour commencer, cela signifie nous interroger sur notre motivation profonde : ambition ? attentes de bénéfices personnels ? motivation réellement altruiste ? Une écoute constante de nos mouvements intérieurs subtils… L’essentiel n’est pas tant l’acte que l’on réalise, mais l’intention qui l’anime. L’observation de nos pensées va permettre de nous connaître de mieux en mieux, d’aller au cœur de nos intentions, et d’identifier de plus en plus précisément ce qu’on doit travailler en priorité : « Qu’est-ce qui, actuellement, est l’obstacle intérieur le plus important à ma progression » ? « Quel est, pour moi, le prochain pas que je dois faire ? »

Car on ne peut faire qu’un seul pas à la fois ! N’entretenons pas l’illusion qui consiste à croire que tout va aller mieux, que nous allons devenir parfait, là, très bientôt. On le sait bien, ce n’est pas possible. Il ne s’agit pas de combattre nos faiblesses, mais plutôt de nourrir notre aspiration à progresser, et de maintenir la direction … Savoir reconnaître nos faiblesses, là, actuellement, mais savoir qu’en nous réside un joyau : la possibilité de croître en conscience. Au début, nos efforts semblent vains, on ne voit pas le résultat, et pourtant si l’on maintient une sincère intention de mieux faire, une transformation va s’opérer petit à petit. Pour modifier un trait de caractère qui est le fruit d’une très longue histoire, il faut être patient. Et confiant. C’est le travail de la goutte d’eau qui creuse le rocher…

De plus, quand il y a progression dans un domaine, beaucoup d’autres domaines en bénéficient également, c’est un travail en profondeur (ex : l’effort que l’on va faire pour vaincre sa tendance colérique, permettra de travailler en même temps sur nos peurs, notre empathie pour les autres, notre réflexion sur ce qui est essentiel, etc.).

N’essayons pas non plus de ressembler à telle ou telle personne ; chacun a son chemin personnel et ses propres moyens d’expression ; certains ont développé principalement la compassion, d’autres la persévérance, ou le discernement, le contentement, l’humilité, la générosité, etc.,  ou encore bien d’autres qualités remarquables lorsqu’elles sont mises au service des autres. Soyons heureux pour eux, et cultivons notre propre jardin, dans la perspective d’aider les autres.

Enfin, d’une façon générale, ne cherchons pas à atteindre un but particulier, ne soyons pas dans l’attente d’un résultat. La quête de vérité est en elle-même la plus précieuse des satisfactions. Simplement, mettons-nous en chemin, un pas après l’autre.

  • Le manque d’ouverture envers ceux qui ne comprennent pas les choses de la même façon que  nous, ou  même, peut-être, un subtil sentiment de supériorité : « Notre voie est la bonne, les autres sont dans l’erreur… ».
  • Le manque de discernement, l’adhésion absolue à une voie proposée, sans qu’il y ait un questionnement.
  • Et bien sûr, tout le brouillard provoqué par nos émotions et nos illusions… et sans doute encore bien d’autres obstacles …
Les crises, les épreuves

Les épreuves, contrairement aux obstacles intérieurs, semblent dues aux circonstances extérieures : ruptures, séparations, pertes … ou bien un évènement bénin en apparence, un changement dans notre environnement relationnel, ou notre fonction professionnelle, etc.

Quel qu’il soit, cet évènement nous fait prendre conscience d’un aspect de nous-mêmes ou d’un aspect de la Vie que nous n’avions jamais entrevu ; c’est une prise de conscience, souvent douloureuse, une partie de notre représentation du monde qui s’écroule…

Pourtant, c’est une chance, nous allons pouvoir rebâtir sur des bases plus justes ; repartir pour une longue période de tâtonnements, d’erreurs, de recommencements, afin de retrouver un certain équilibre. Cette période d’équilibre arrive en effet, où les choses semblent posées, apaisées, relativement stables. Jusqu’au jour où survient une nouvelle crise, qui donnera lieu à une nouvelle expansion de conscience…

Les épreuves sont toujours à la hauteur de ce que l’on est capable de surmonter ; de même, les opportunités de progresser se présentent lorsque l’on est prêt…

Sans ces crises, sans ces épreuves, il n’y aurait pas d’évolution ; ou si peu… Tant que nous n’avons pas la sagesse d’interpréter le monde comme nous l’enseignent les spiritualités ancestrales, ces épisodes de souffrance se reproduiront. Ils sont là pour nous amener à avoir une vision plus juste, et donc pour nous conduire vers une plus grande paix intérieure.

Les cycles

A tous les niveaux, dans la nature, on peut observer un mouvement cyclique : cycle des saisons, cycle du jour et de la nuit, cycle menstruel chez les femmes, cycle de la respiration, etc. Mais il y a également des cycles beaucoup plus vastes, qu’on ne peut appréhender (mais dont certains sont reconnus par les astronomes, les biologistes, les sociologues,…). Il s’agit d’un éternel recommencement de mouvements semblables, mais pourtant toujours différents, toujours nouveaux (ex : les saisons, ou le cycle de la reproduction : le principe est identique, mais le résultat toujours différent).

Pour faciliter les choses, on distingue généralement 2 phases opposées (été/hiver), et 2 phases d’équilibre (automne/printemps), bien qu’en fait il s’agisse d’un mouvement continu entre 2   manifestations opposées.

Donc des cycles :

  • avec différentes phases,
    • de différentes durées, ou différentes amplitudes (ex : inspiration/expiration – état de veille/sommeil),
    • inclus les uns dans les autres (cycle journée inclus dans le cycle annuel),
    • ou imbriqués : le cycle annuel, lié à la rotation de la terre autour du soleil, et le cycle mensuel, lié à la rotation de la lune autour de la terre, se superposent et produisent des conditions particulières, qui ne se renouvelleront que selon un cycle beaucoup plus grand (ex : éclipse de lune), lequel cycle, lui-même superposé à d’autres grands cycles, produira certains évènements cycliques spécifiques, etc.

Notre cheminement personnel est, lui aussi, soumis à des cycles, avec des phases où l’on a l’impression de s’ouvrir, de s’éveiller à quelque chose, d’accéder à une nouvelle dimension de la Vie, et puis des phases de repli, de doute, et même quelquefois de déni par rapport à nos propres expériences, ou simplement des phases de latence, où l’on replonge dans notre inertie, même si l’on continue à pratiquer des rituels ou une certaine discipline, par habitude.

Ces différentes phases font partie du chemin. Les moments qui nous semblent plus difficiles sont inévitables. On a l’impression de stagner ou de revenir en arrière, ceci est inhérent à tout processus d’apprentissage. Une progression n’est jamais linéaire : on avance de deux pas, on stagne pendant quelques mois, quelques années, ou on recule d’un pas… avant de repartir en marche avant… Certaines personnes sont plus sensibles que d’autres à ces cycles, qui peuvent avoir des amplitudes très variées.

Si on comprend cela, on pourra accueillir les périodes délicates sans les accentuer par de la culpabilité ou du découragement. On pourra constater ce qui est, tout en gardant une certaine distance, un certain calme intérieur.

Les moyens à notre disposition

De nombreuses traditions nous rappellent que, pour entrer et pour avancer dans un processus de transformation intérieure, notre aspiration doit être profonde et sincère.

La compréhension « théorique » des idées n’est pas suffisante. Seuls, les efforts faits pour tenter de mettre en œuvre ces idées, vont permettre de les intégrer, de se les approprier réellement. C’est pourquoi il est important de travailler en parallèle sur les trois aspects suivants, qui se complètent, s’enrichissent l’un l’autre, et permettent d’avancer sur un chemin vivant.

  • L’étude de différents enseignements (lectures, échanges,…), mais aussi la réflexion personnelle

Nous sommes le fruit de multiples conditionnements, et notre vision du monde est extrêmement limitée. Ce que nous appelons « la » réalité, est en fait « notre » réalité. Il s’agit d’une compréhension tout à fait subjective. Un aspect du travail consistera donc à nous confronter à différents points de vue. Une recherche « intellectuelle », à travers des lectures, des échanges,… va nous permettre d’élargir peu à peu notre vision limitée.

Chaque individu, à partir de ses caractéristiques génétiques, se construit en fonction de son environnement, de ses échanges, mais aussi de la capacité de réflexion qu’il développe. Chaque expérience, chaque moment de vie nous transforme un petit peu, y compris un moment de silence, de solitude, et même encore plus ces moments-là, qui nous permettent de réfléchir, de prendre de la distance par rapports aux moments plus actifs ; ils nous permettent de faire des liens, d’intégrer des concepts, ou au contraire de nous interroger, de nous poser des questions fondamentales, de construire notre vérité, vérité toujours provisoire car en perpétuelle évolution elle aussi.

Rechercher ce qui est essentiel pour nous ; hiérarchiser nos priorités ; essayer d’identifier le plus clairement possible l’orientation que l’on veut donner à notre vie ; réfléchir à l’évolution que nous souhaiterions pour l’humanité…

  • La méditation

Cet aspect sera développé bientôt dans un autre exposé.

  • Le « travail » quotidien, de chaque instant, qui consiste à :
  • pratiquer le « rappel » : plusieurs fois par jour, pendant quelques secondes, se tourner vers notre état de conscience le plus vaste, le plus en paix, tel qu’on l’a expérimenté en méditation ; il en découlera une plus grande présence à soi-même et à ce qui nous environne ; dans les religions, prières et rituels sont censés avoir cette fonction de rappel, à condition de les pratiquer en étant pleinement présent, et non pas seulement par habitude ;
  • développer « l’observateur en nous », dans notre vie quotidienne ; essayer de toujours mieux se 

      connaître, de découvrir quelle est l’intention profonde qui guide chacune de nos actions, paroles, 

      et pensées.

Pour conclure…

Au-delà des multiples embûches que nous trouvons sur le chemin, s’élève un sentiment de paix, de quiétude, et même une certaine joie ; joie d’être un chercheur de lumière, un chercheur de vérité ; joie de se mettre au service d’une idée qui élève l’être humain, une idée qui rassemble, au lieu de séparer, une idée qui prend racine dans ce que les êtres humains ont en commun : le souffle de Vie qui les traverse, de la naissance à la mort et peut-être au-delà, le souffle de vie qui les unit entre eux et les relie à quelque chose de beaucoup plus vaste qu’eux.

Joie de donner le meilleur de nous-mêmes pour participer à la marche de l’humanité.